laia-Belgique

J’ai manifesté à gênes pour construire un autre monde que celui du capitalisme, dans un large mouvement regroupant des personnes d’horizons multiples qui visaient l’émancipation, la construction d’un autre commun.
J’avais entendu les menaces du gouvernement Berlusconi, tentant de nous dissuader, de décourager les venues des manifestant.es issu.es de toute l’Europe.
Une « chronique de la mort annoncée », une organisation de la peur mise en place avec un show télévisé à l’appui (je me souviens des images de sacs « pour y placer des cadavres » qui défilaient sur les écrans accompagnés par les discours d’interdiction de manifester de Silvio Berlusconi).
Hors, trois cent mille personnes sont venues, ont rompu avec l’intimidation.
Trois cent mille personnes dont je faisais partie.
J’étais dans le cortège où s’est fait tuer Carlo Giuliani.
J’ai vu les carabinieri bloquer le passage du cortège.
J’ai vu les blindés nous foncer dessus.
J’ai vu la terreur s’installer sur la ville entièrement militarisée.
J’ai reçu dans le visage comme trois cent mille autres personnes, des gazes lacrymogènes dès les premiers moments.
J’ai vu des carabinieri nous viser avec des armes.
J’ai vu des vieux, des tout jeunes au sol, tabassés sauvagement.
J’ai vu la panique, le chaos et la peur chez des milliers de manifestant-es.
J’ai vu le visage de la haine et les armes pointées des policiers habillés en robocop, se défouler sur des manifestant-es, les mettre à terre et à sang, les matraquer, les menacer de mort en les insultant.
Nous avons couru dans la panique avec des milliers de personnes.

J’ai vu d’autres manifestants courageusement nous défendre en tentant de faire reculer les charges armées. Je n’ai personnellement pas pris les coups, eux et elles les ont pris.
Carlo Giuliani, en faisait partie et l’a payé de sa vie. Il avait vingt ans.
J’ai entendu devant moi les gens crier, « ils nous tirent dessus , courrez courrez, un homme est mort !».
Les cris « assassini, assassini, assassini ! » résonnaient dans toutes les rues.
J’ai su qu’un camion de carabineri avait écrasé Carlo Guliani après la balle.

Plus tard, j’ai rejoint un campement organisé par des activistes italiens, avec des nombreuses personnes très inquiètes de la situation et des violences commises dans toute la ville.
Dans la soirée, j’ai voulu rejoindre avec mes ami.es l’école Diaz . Nous étions venues de Belgique.
Nous voulions rejoindre le centre médiatique pour être informé et éventuellement y dormir.
J’ai croisé des journalistes en larmes de la RAI courir dans la rue déserte la nuit et nous dire de ne pas aller à l’école Diaz, de faire demi tour, qu’ils y avaient vu des civières avec des gens gravement blessés, des vitrines cassées, des portes défoncées, des cris. Qu’une brutalité indicible s’y déroulait.
Ils étaient en état de choc.
J’ai été à l’école Diaz, après l’assaut des policiers, avec quelques amis.
J’y ai vu des personnes traumatisées. J’ai vu des crises de panique , de sidération et l’effroi sur tous les visages.
J’ai vu le sang sur les murs et le sol de l’école Diaz suite aux coups donnés par les policiers. 
J’y ai appris que des personnes y avaient été sauvagement tabassés, et qu’on ne savait pas si ils/elles étaient encore vivant.es. J’ai appris par la suite que des tortures avaient eu lieu dans les commissariats et lors de cet assaut. Tortures qui ont laissé des traces physiques et mentales à de nombreuses personnes. A l’école Diaz comme aux casernes Bolzaneto.
J’ai senti la panique avec mes camarades et nous avons cherché à nous échapper de gênes et des rafles policières.
J’ai vu tout le monde s’enfuir et se cacher.
Les camions blindés et le couvre feu occuper toute la ville.
Je me suis cachée avec des ami-es dans une gare de gênes pour ne pas croiser des policiers à la recherche de manifestants pour continuer leur actes.
J’ai vu les larmes des vieux disant : « Mussolini est revenu »
J’ai vu de nombreux jeunes résister et protéger des manifestant.es.
J’ai lu les témoignages des survivant-es de l’école Diaz et j’ai réalisé à quoi j’avais échappé.
J’ai vu les silences des responsables politiques qui couvraient ses actes barbares.
J’ai entendu les mensonges, les faux témoignages de carabinieri concernant ce qui s’est passé à l’école Diaz.
Aujourd’hui, je veux témoigner pour tous ceux et toutes celles qui ont subi les violences et les crimes commis par l’état italien lors du contre-sommet de gênes. Pour tous ceux et toutes celles qui sont encore poursuivies aujourd’hui, qui ont été condamnés injustement.
Pour tous ceux et toutes celles, sans exception et sans distinction, qui ont résisté courageusement.
Rompre avec la peur qu’ils nous ont insufflée à gênes , rompre avec la tentative de briser psychologiquement et physiquement les personnes, c’est se déclarer aux côtés de Vincenzo Vecchi.
C’est déclarer qu’ aujourd’hui comme hier et demain, nous manifesterons pour changer ce monde. Et nous n’oublierons jamais ce qu’il s’est produit à Gênes. Ils étaient si armés, et nous étions désarmés.

Si violence, il y a eu, elle se situe entièrement du côté des policiers.
Dans ce sens, et pour toutes les manifestations qui auront encore lieu, nous serons nombreux/nombreuses à témoigner.
Vincenzo ne servira pas d’exemple.

Le temps n’exauce pas le souvenir de Gênes.
Manifestante de genova. Manifeste aujourd’hui son soutien inconditionnel.
Liberté pour Vincenzo Vecchi.

(Belgique) le 21 juin 2021