En Italie, la vengeance d’État se mange froide

Menacé d’extradition, Vincenzo Vecchi, installé dans un bourg du Morbihan, a été condamné à près de douze ans de prison ferme en Italie pour sa participation au contre-G8 de Gênes en 2001.

Gênes persistante. Dix-huit ans après les manifestations contre le G8 dans le grand port de Ligurie (Italie), ensanglantées par la police de Silvio Berlusconi, un jeune homme, Carlo Giuliani, avait été abattu et des centaines d’altermondialistes tabassés, blessés, torturés ou détenus arbitrairement, les hoquets de l’histoire n’en finissent jamais. Cette fois, c’est à Rochefort-en-Terre, dans le Morbihan, que les spectres de cette répression, caractérisée à l’époque par Amnesty International comme « la plus grande violation des droits humains et démocratiques dans un pays occidental depuis la Seconde Guerre mondiale ? », sont réapparus ces derniers jours. Vincenzo Vecchi a été arrêté jeudi, et il se retrouve menacé d’extradition vers l’Italie. Sur place, parmi ses amis et ses voisins, la stupeur est totale : installé en Bretagne depuis huit ans et parfaitement intégré, l’homme participait régulièrement aux activités culturelles et sociales d’un café associatif (la Pente). « Il était très sympathique et discret, il ne faisait pas de vagues, mais il était là », témoigne un membre du collectif de soutien qui se met en place localement.

Qu’a bien pu faire cet Italien de 46 ans pour mériter ce sort de criminel en puissance ? Dans la presse dominante à Rome ou à Milan, reprenant les fanfaronnades du gouvernement et déroulant à l’envi la minutieuse traque policière ayant abouti à son interpellation, Vincenzo Vecchi est présenté comme un « fugitif », le dernier « black bloc » en cavale à l’étranger après sa condamnation par la justice italienne pour des exactions commises lors du G8 de Gênes. Dans cette logique, ce n’est plus vraiment un homme, c’est un symbole ou, mieux encore, pour l’extrême droite au pouvoir dans la capitale italienne, un trophée.

Selon une sentence de la Cour de cassation italienne, prononcée en juillet 2012 après deux jugements, en première instance puis en appel, Vincenzo Vecchi a, le 20 juillet 2001, à Gênes, « endommagé, détruit, incendié des biens mobiliers et immobiliers, parmi lesquels des banques, des voitures et un supermarché, en s’emparant des marchandises exposées à ­l’intérieur ». Toujours selon cette reconstruction judiciaire, Vecchi s’est « opposé avec violence aux forces de l’ordre, exhortant les autres manifestants à passer à l’attaque, lançant des bouteilles, des pierres et faisant exploser quelques cocktails Molotov », non sans « déplacer des caissons pour les poubelles et les renverser au milieu des rues ».

Des faits constitutifs d’une émeute, en somme, sans violences envers des personnes, qui vont valoir à dix manifestants du contre-G8 de Gênes des peines allant de 6 à 15 ans de prison ferme. De quoi susciter une pétition signée par des intellectuels comme l’écrivain Erri De Luca, le metteur en scène Ascanio Celestini, le prix Nobel de littérature Dario Fo, l’actrice Franca Rame et des centaines d’autres, pour demander l’absolution de ces quelques boucs émissaires commodes pour une vengeance d’État en Italie, Vincenzo Vecchi est, lui, condamné définitivement à 11 ans et 6 mois de prison.

Deux poids, deux mesures. D’un côté, les policiers, les gendarmes et les militaires qui, au plus haut niveau de leurs chaînes de commandement lors du G8 de Gênes, s’étaient rendus coupables de violences multiples contre des manifestants, puis avaient organisé leur défense en produisant des documents falsifiés, ont tous, ou presque, bénéficié de non-lieux ou échappé aux ennuis grâce à la prescription. Le gendarme qui a abattu Carlo Giuliani d’une balle dans la tête a rapidement pu compter sur la thèse de la légitime défense. De l’autre, pour les manifestants présentés comme les « animateurs » d’un black bloc, décrit, de manière fallacieuse, comme homogène, les peines, de toute évidence totalement disproportionnées, ont été rendues possibles par le choix de la justice italienne de poursuivre une poignée de militants anti-G8 ? plusieurs centaines d’entre eux avaient été arrêtés en 2001 et quasiment tous relâchés sans chef d’inculpation, en recourant au délit de « dévastation et saccage ». Un élément du Code pénal italien, introduit par les fascistes en 1930, qui permet, dans les faits, au nom de la notion de simple « concours moral » aux événements, de sanctionner avec des peines de 8 à 15 ans de prison la simple présence et la participation à des manifestations considérées comme insurrectionnelles.

Lors de l’une des multiples audiences de ses procès, Vincenzo Vecchi avait lancé ces mots : « Je m’honore d’avoir participé en homme libre à une journée de contestation contre l’économie capitaliste. » À Rochefort-en-Terre, parmi le comité de soutien qui découvre ces jours-ci la machine à broyer qui rattrape leur ami et voisin, on s’organise pour préserver cette « liberté » : un rassemblement sera organisé mercredi à 11 heures à Rennes devant la chambre d’instruction qui doit statuer sur son extradition. « Il n’avait parlé à personne de ce passé, souffle-t-on sur place. Ce qui est sûr, c’est que Vincenzo a déjà largement payé par ce long exil forcé, séparé de sa femme et de son enfant. Cela suffit, il ne doit en aucun cas être renvoyé en Italie.»

Thomas Lemahieu

L’Humanité

13 août 2019