Synthèse des mémoires à la CJUE du 20 janvier 2022

Le 26 janvier 2021, sur l’affaire Vincenzo Vecchi, la Cour de cassation française posait trois questions préjudicielles à la Cour de justice européenne.

Ce texte vise à synthétiser les points centraux des mémoires ou observations présentés lors de l’audience du 20 janvier 2022 de la CJUE.

Sont examinés ici les mémoires de la défense « notre avocat », des gouvernements français et Italien ainsi que, celui de la Commission européenne.
On notera que le gouvernement italien qui a présenté un mémoire écrit n’a pas jugé bon d’être présent à la première audience de la CJUE, la présidente de la cour n’a fait aucun commentaire sur cette absence.
En réalité, si trois questions préjudicielles avaient été posées par la Cour de Cassation française en janvier 2021, seules les deux premières questions ont été vraiment abordées par les différents participants à la séance du 20 janvier 2022.

La première question1 peut être condensée de la façon suivante : Est ce que la condition de double incrimination est satisfaite lorsqu’un élément constitutif de l’infraction de l’État
d’émission n’est pas une infraction dans l’État d’exécution ? ;

La seconde question2 peut également être résumée par : la remise peut-elle être accordée dans le cas ou certains faits constitutifs de l’infraction unique ne sont pas punissables dans l’État d’exécution ?

1- Résumé de la position du gouvernement italien sur les questions 1 et 2

Le gouvernement italien développe, sur la première question un argumentaire en 4 points :

  1. Reprenant entre autres des éléments de l’arrêt Grundza (qui porte sur un sujet très différent), le mémoire italien dit « qu’une correspondance parfaite n’est requise ni entre les éléments constitutifs de l’infraction, telle que qualifiée respectivement par le droit de l’État d’émission et par celui de l’État d’exécution, ni dans la dénomination ou dans la classification de cette infraction selon les droits nationaux respectifs »
  2. et que, « l’absence de double incrimination constitue, dans le cadre du système instauré par la décision cadre, un motif facultatif de refus »
  3. Par ailleurs, « la mise en danger de la paix publique – une condition qui n’est du reste pas prévue expressément par la législation italienne en tant qu’élément constitutif de l’infraction visée à l’article 419 du code pénal italien bien qu’elle soit analysée par la jurisprudence comme une condition nécessaire ne peux être considérée comme indispensable aux fins de la double incrimination le fait que cet élément ne soit pas prévu, pas même par [Or. 10] la jurisprudence, dans le cadre de l’incrimination correspondante du droit français – qui sanctionne uniquement « les destructions, dégradations, vol avec dégradations commis le cas échéant en réunion, de nature à causer un préjudice aux propriétaires des biens » –étant dénué de toute pertinence ».
  4. En dernier lieu, le gouvernement italien donne un dernier argument à l’exécution de la remise : « la solution qui consiste à refuser la remise « revient à assurer l’impunité à l’intéressé pour la totalité des faits ainsi sanctionnés alors même que, pour la plupart d’entre eux, il n’est pas discuté que la remise eût été possible et une sanction justifiée »

En ce qui concerne la seconde question, le gouvernement italien rappel que la Chambre d’instruction d’Angers a refusé la remise de monsieur Vecchi en relevant que deux agissements sous-jacents à l’infraction sur les sept de « pillage et dévastation » n’étaient pas susceptibles de constituer une infraction en France (endommagement des locaux du Credito Italiano et l’incendie du véhicule Fiat Brava) puisqu’il n’y avait pas de participation personnelle et, qu’en conséquence comme les sept faits de l’infraction sont indissociables, la remise de monsieur Vecchi doit être refusée.
Pour le gouvernement italien, une telle approche est irrecevable puisque « le juge d’Angers pose en réalité un problème de preuve et non de double incrimination »
Et, la question de la preuve ou de la responsabilité lorsqu’il s’agit « du délit de dévastation et pillage est définie par la jurisprudence italienne « …il n’est pas nécessaire que l’auteur accomplisse matériellement un acte d’endommagement, à condition qu’il participe de façon consciente aux troubles perpétrés (cass. 1ère chambre, n° 11912 du 18 janvier 2019…) »

2- Résumé de la position du gouvernement français sur les questions 1 et 2


Le gouvernement français, développe sur la première question un argumentaire en 4 points :

  1. Il considère que les conclusions de CJUE dans l’arrêt Grundza sont pleinement transposables dans les conditions prévues par la décision cadre 2002/584 et qu’aux fins de l’appréciation de la double incrimination « il n’est pas exigé que les infractions soient identiques dans les deux États membres concernés » et, plus loin, « Or, dans l’affaire en cause au principal, bien que les éléments constitutifs des infractions en droit pénal italien et en droit pénal français ne soient pas identiques, il est établi que des éléments factuels servant de base à la condamnation en droit italien seraient également passibles d’une sanction pénale en France s’il avaient été commis sur le territoire français.
  2. En effet, les faits qualifiés par les autorités italiennes « de dévastation et de pillage » pour lesquels KL a été condamné à la peine de dix ans d’emprisonnement peuvent être incriminés en France sous la qualification de « vol avec dégradation et en réunion. »
  3. La double incrimination doit être considérée comme « une exception à la règle de principe d’exécution des mandats d’arrêt européens. Partant, le champ d’application du motif de refus d’exécution, tiré de l’absence de double incrimination, tel que visé à l’article 4, point 1, de la décision-cadre 2002/584, doit être interprété de manière stricte, afin de limiter les cas de non-exécution. »
    En effet, «…Dans la décision-cadre2002/584, le principe de reconnaissance mutuelle… qui constitue… la pierre angulaire de la coopération judiciaire en matière pénale trouve son application à l’article 1er…de cette décision cadre, en vertu duquel les États membres sont principes tenus de donner suite à un mandat d’arrêt européen…. »
  4. Sur la problématique de la paix publique qui est abordée par la Cour de cassation comme élément essentiel constitutif de l’infraction de dévastation et pillage, le gouvernement français évoque la différence entre le droit italien et le droit français :
    « En droit pénal italien, l’infraction de dévastation et de pillage vise des actes de destructions et de dégradations multiples, massifs, occasionnant non seulement un préjudice aux propriétaires desdits biens mais également une atteinte à la paix publique, ainsi que l’énonce la juridiction de renvoi.
    En droit pénal français, le fait de mettre en danger la paix publique par des destructions de masse de biens meubles ou immeubles n’est pas spécifiquement incriminé. Seuls le sont les destructions, dégradations, vol avec dégradation commis le cas échéant en réunion, de nature à causer un préjudice aux propriétaires des biens. » et conclu que :
    « Le fait que le droit de l’État d’émission poursuive un intérêt supplémentaire de protection de la paix publique n’est pas de nature à écarter la condition de double incrimination, puisqu’il ne saurait être exigé, lorsqu’un intérêt commun est poursuivi, que les législations en cause poursuivent strictement les mêmes intérêts. »

Sur la réponse à la seconde question, le gouvernement français ne fait pas une franche distinction avec la première question puisque :

  1. La question de la « divisibilité » n’est pas véritablement pertinente puisque selon le gouvernement français il « n’incombe pas à l’État d’exécution d’examiner le caractère
    indissociable des faits incriminés »
  2. Ce qui de plus, entrerait en contradiction avec le principe de reconnaissance mutuelle et « contreviendrait aux principes de confiance et de reconnaissance mutuelles » et donc : « la juridiction de l’État d’exécution ne peut pas refuser d’exécuter un mandat d’arrêt européen au motif que la condition de double incrimination ne serait pas remplie lorsque la remise est demandée pour des actes qualifiés pénalement, dans l’État d’émission, sous une incrimination comportant un élément essentiel qui est absent des qualifications pénales susceptibles d’être retenues, pour les mêmes faits, dans l’État d’exécution ».

3-Résumé de la position de la Commission européenne sur la question 1 et 2

Sur la première question, la Commission développe en réalité un argumentaire unique qui prend en compte le fait que l’incrimination de dévastation et pillage est une déclinaison juridique de l’atteinte à la paix publique puis, cette Commission va considérer «qu’une divergence entre les éléments constitutifs requis, respectivement, par le droit de l’État d’émission et par celui de l’État d’exécution aux fins de l’existence d’une infraction n’a aucune incidence sur l’appréciation de la double incrimination ».
Ainsi, «dans les cas où l’autorité judiciaire d’exécution procède à une vérification de la condition de double incrimination, celle-ci implique de considérer les faits pour lesquels le mandat d’arrêt a été émis et de déterminer si de tels faits constituent une infraction dans le droit de l’État d’exécution.
Il n’y a pas lieu dans ce cadre d’examiner quels sont les éléments constitutifs de l’infraction dans le droit de l’État d’émission et de les comparer avec ceux requis dans le droit de l’État d’exécution, dont la divergence éventuelle n’emporte aucune conséquence dans ce contexte.
Si les faits dont il s’agit sont incriminés dans le droit de l’État d’exécution, la condition de double incrimination peut et doit être considérée comme satisfaite » … « y compris lorsque l’un des éléments constitutifs nécessaire à l’existence d’une infraction selon le droit de l’État d’émission n’est pas un élément nécessaire à l’existence d’une infraction selon le droit de l’État d’émission »

Sur la seconde question, la Commission estime que, même si « l’élément pertinent est en effet la correspondance entre les éléments factuels à la base du mandat d’arrêt européen et les infractions reconnues dans le droit de l’État d’exécution. Dans une situation où seuls certains des faits à la base du MAE constituent une infraction dans le droit de l’État d’exécution, cette correspondance est partielle. Selon la Commission, « cela signifie que la condition de double incrimination doit être considérée comme étant (seulement) partiellement satisfaite. »
Une fois ceci dit, la Commission après avoir pesé -non sans difficulté- le dilemme juridique sous tendu par cette situation évoque deux positions contradictoires :

« Considérer que l’autorité judiciaire d’exécution pourrait refuser d’exécuter le mandat d’arrêt européen au seul motif que certains des faits pour lesquels il a été émis ne sont pas incriminés dans le droit de l’État d’exécution, conduirait de fait à étendre le motif de non-exécution à ceux de ces faits qui sont incriminés et ne relèvent pas dès lors de l’exception permise par l’article 4, point 1. »
Et plus loin, « En revanche, considérer que l’autorité judiciaire d’exécution aurait toujours l’obligation d’exécuter le mandat d’arrêt européen, dès lors que l’un des faits à la base de celui-ci est incriminé selon le droit de l’État d’exécution, pourrait conduire à limiter à l’excès l’exercice de la faculté de subordonner la remise à la satisfaction de la condition de double incrimination, qui est reconnue aux États membres par la décision-cadre 2002/584 compte tenu des différentes traditions juridiques dans le domaine du droit pénal, qu’il convient de respecter, comme le prévoit l’article 67, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. »

Et donc : « Face à ces deux positions opposées, il convient de concilier, d’une part, l’obligation de principe d’exécuter un mandat d’arrêt européen, et, d’autre part, la faculté reconnue à l’autorité judiciaire d’exécution de pouvoir refuser l’exécution en cas d’absence de double incrimination. »

En dernier lieu, la réponse de la Commission à la question 2 se termine de la façon suivante :
« Par contre, si une telle division n’était pas possible dans le droit de l’État d’émission, l’autorité judiciaire d’exécution devrait exercer sa marge d’appréciation en tenant compte, d’une part, de son droit de ne pas invoquer un motif de non-exécution du fait du caractère facultatif de ce droit et, d’autre part, du risque d’impunité en cas de non-exécution du mandat d’arrêt européen.
Il s’ensuit qu’en règle générale l’autorité judiciaire d’exécution devrait exercer sa marge d’appréciation en faveur de l’exécution du mandat d’arrêt européen. Néanmoins, l’autorité judiciaire d’exécution devrait, à titre exceptionnel, avoir la possibilité de refuser l’exécution du mandat d’arrêt européen dans le cas où les faits pour lesquels la condition de double incrimination est remplie au regard du droit de l’État d’exécution sont seulement d’une importance marginale par rapport à l’importance des faits pour lesquels la condition de double incrimination n’est pas remplie. »

4-Résumé de la position de la défense développée par Paul Mathonnet sur les questions 1 et 2

Sur la première question l’argumentaire développé par Paul Mathonnet porte sur 3 points :

  1. Il démontre à travers un bref historique de l’incrimination « dévastation et pillage » dans le cadre de l’atteinte à l’ordre public mise en place dans les années 1930 en Italie que cet ordre public est en tant que tel un élément constitutif du délit ce qui « légitime » des lourdes peines.
    A l’inverse, en France « Aucune infraction ne vient donc réprimer en droit français les actes violents dirigés contre les biens en tant qu’ils ont pour objet ou pour effet d’anéantir l’ordre et la paix publique.
    Enfin, une personne ne peut être déclarée coupable d’une infraction que si elle en est l’auteur, le complice ou le coauteur, ce qui suppose un fait positif. Il n’existe pas de complicité par adhésion intellectuelle. Il n’y a pas non plus de complicité dans le seul fait d’être présent au sein d’un groupe dont un ou plusieurs des membres commettent des infractions, le seul fait pour un individu de participer à un rassemblement au cours duquel des infractions de vol ou de destruction sont commises ne permet pas de regarder cette personne comme auteur ou complice de ces infractions »
  2. En fait, ce n’est pas « la différence de la dénomination de l’infraction ou des éléments constitutifs -qui constituent la différence entre le code pénal italien et français- mais sur la valeur sociale protégée » .
    C’est pour cette raison, que l’arrêt Grundza ne peut être retenu (« une différence entre éléments constitutifs ne pourra jamais avoir d’incidence ») puisque « la nature de l’intérêt social protégé est une différence pertinente ».
    « La présente affaire en est une illustration : la valeur sociale protégée par le délit de dévastation et pillage n’est pas le respect des biens et de la propriété d’autrui mais le respect de l’ordre et de la paix publics, alors que celle protégée par les infractions de vol et de destruction, dégradation et détérioration prévues en droit français ne concerne que le respect des biens d’autrui. »
  3. En ce qui concerne le débat sur la double incrimination :
    « Dès lors qu’elle participe de la détermination du champ d’application du mandat d’arrêt européen, et non des conditions de mise en œuvre de cet instrument, la condition de double incrimination est une limitation apportée à la coopération, non un obstacle à la mise en œuvre de cette dernière. Elle ne participe pas des motifs de refus de remise qui, eux, constituent une exception au principe de coopération ; elle constitue une délimitation, et non une exception. »
    « Par ailleurs, le principe de confiance mutuelle n’est pas affecté lorsque la remise se heurte à la condition de double incrimination. »
    « La mise en œuvre de cette condition montre seulement la volonté de l’État membre concerné de limiter le domaine de la coopération aux faits portant atteinte à une valeur sociale qu’il considère comme suffisamment importante pour relever de sa législation pénale. »

« Il en résulte que le défaut de remise motivé par la circonstance que la condition de double incrimination prévue par l’article 2, paragraphe 4, n’est pas satisfaite est l’expression du choix souverain de cet État de ne pas coopérer au-delà des infractions visées par l’article 2, paragraphe 2. et, des infractions qu’il a en commun avec l’État d’émission ; ce refus n’est pas l’effet d’un obstacle à l’exécution d’un mandat d’arrêt européen dont la logique de la décision-cadre commanderait de réduire la portée. »

Sur la seconde question, à partir du moment où « les faits sur lesquels le jugement s’est fondé sont indivisibles. En ce cas, il est impossible que les faits qui constituent une infraction dans l’État d’exécution, après retranchement de ceux qui ne répondent pas à la condition de double incrimination, caractérisent l’infraction sur le fondement de laquelle la condamnation a été prononcée. »
Et donc, comme pour la première question préjudicielle de la Cour de cassation la remise de Vincenzo Vecchi à l’Italie n’est pas possible.


Notes :

1 « L ’article 2, paragraphe 4, et l’article 4 paragraphe 1 de la décision-cadre 2002/584 doivent-ils être interprétés en ce sens que la condition de la double incrimination est satisfaite dans une situation, telle que celle en cause au principal, dans laquelle la remise est demandée pour des actes qui ont été qualifiés, dans l’État d’émission, de dévastation et pillage consistant en des faits de dévastation et de pillage de nature à porter atteinte à la paix publique lorsqu’existent dans l’État d’exécution les incriminations de vol avec dégradation, destruction, dégradation qui n’exigent pas cet élément d’atteinte à la paix publique ? »

2 « Pour le cas où la première question appellerait une réponse positive, convient-il d’interpréter l’article 2, paragraphe 4, et l’article 4, paragraphe 1, de la décision-cadre 2002/584 en ce sens que la juridiction de l’État d’exécution peut refuser d’exécuter un mandat d’arrêt européen délivré pour l’exécution d’une peine lorsqu’elle constate que la personne concernée a été condamnée par les autorités judiciaires de l’État d’émission à cette peine pour la commission d’une infraction unique dont la prévention visait différents agissements et que seule une partie de ces agissements constitue une infraction pénale au regard de l’État d’exécution ? Convient-il de distinguer selon que les autorités de jugement de l’État d’émission ont considéré ces différents agissements comme étant divisibles ou non ? »

Voir aussi

Note d’informations
Compte-rendu audience CJUE – 20 Janvier 2022