Droits fondamentaux vs collaboration européenne

Quelques temps forts de la conférence de presse

Quelques temps forts de la conférence de presse qui a eu lieu le 23 février 2023 à Lyon, soit la veille de l’audience à la cour d’appel de Lyon.

Participants :

  • Éva Joly (magistrate – ex-juge d’instruction, ex-procureur, ex-députée européenne),
  • Patrick Canin (représentant régional de la Ligue des Droits de l’Homme),
  • les avocats de la défense Catherine Glon et Maxime Tessier,
  • plusieurs membres du comité de soutien à Vincenzo Vecchi, notamment Jean-Baptiste Ferraglio et Pascale Jaouen (ex-magistrate) dont les interventions sont citées dans ce document,
  • ainsi que des journalistes de la presse régionale et nationale.


RAPPEL : Vincenzo Vecchi, qui vit en Bretagne depuis plus de dix ans,  fait l’objet d’un Mandat d’arrêt européen suite à sa condamnation à 12 ans de prison en Italie où il avait été inculpé de « concours moral » à des faits de « dévastation et pillage » lors des manifestations de Gênes en 2001.

Après trois ans de procédure en France, deux jugements favorables en cours d’appel de Rennes et Angers, deux pourvois en cassation, un avis de la Cour européenne de justice, un retour en cour de cassation, l’affaire Vincenzo Vecchi a été renvoyée à la Cour d’appel de Lyon qui rendra son verdict le 24 mars prochain.

Une incrimination qui n’a pas d’équivalent dans notre droit français

« Je suis une militante du Mandat d’arrêt européen (MAE) … mais ici nous sommes dans une situation absurde

Vouloir faire coller « dévastation et pillage » à notre infraction de « destruction de biens » ne colle évidemment pas, parce qu’ici il y a la responsabilité collective, ce que la France a connu par moments avec les lois Pasqua (qui n’existent plus heureusement), mais on voit bien comme c’est artificiel.

C’est comme si on réinventait le délit de blasphème et s’il y avait un MAE pour blasphème, avec destruction de la Bible ou du Coran, on pourrait toujours dire qu’on a la double incrimination car ce serait aussi destruction d’un objet, et donc c’est sans limite !

Et donc, là il n’y a pas double incrimination.

Le rôle de la Cour d’Appel de Lyon est de résister et de dire que Vincenzo Vecchi ne doit pas être livré à l’Italie parce que nous ne connaissons pas cette infraction de « dévastation et pillage » qui porte des peines criminelles pour nous.

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Il ne faut pas que Vincenzo Vecchi soit livré à l’Italie, qui est néofasciste aujourd’hui. »

Éva Joly

Une peine disproportionnée au regard de la Charte européenne des droits fondamentaux

« Il y a des principes supérieurs pour l’Union Européenne, nous avons  la déclaration des droits et dans cette déclaration des droits, le droit à un procès équitable et à des peines proportionnelles.
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Vous imaginez, 12 ans pour avoir participé à une manifestation, avec une responsabilité collective. (…) 12 ans, c’est ce que vous prenez en France pour des meurtres.
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Quand il y a des défauts aussi évidents, le rôle des juges, des magistrats, est de trouver les moyens pour que Justice soit faite. »

Éva Joly

« C’est intéressant la question de la proportionnalité, parce qu’il y a eu en novembre une interview à La Repubblica du nouveau ministre de la justice italien qui a été magistrat pendant 30 ans et donc qui connaît le sujet. Ce qui est assez étonnant, c’est que le premier engagement qu’il a pris, est de rendre compatibles les lois mussoliniennes (dont dévastation et pillage) avec la constitution italienne et les normes au niveau européen.
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On a là une déclaration officielle du ministre de la justice italienne qui dit « effectivement il y a un problème, les lois mussoliennes en Italie ne sont pas proportionnelles. »

Jean-Baptiste Ferraglio

Rôle de la CJUE et des juridictions nationales : « la responsabilité juridictionnelle appartient à l’institution judiciaire française » 

« La CJUE ne fait que répondre aux questions qui lui sont posées par la Cour de Cassation. (…). Mais, c’est tout. Le principe de la CJUE, qui est constamment rappelé, est que c’est à la Justice française qui est saisie, de prendre la décision par rapport à ce mandat d’arrêt. Et d’ailleurs, le terme qui est utilisé, c’est « la responsabilité juridictionnelle appartient à l’institution judiciaire française.
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Néanmoins, ce qui nous importe nous, c’est que nous nous adressons à la Cour d’appel de Lyon à nouveau à des juges du fond, c’est-à-dire à des juges de terrain qui analysent une situation juridique précise qui leur est donnée. Et ces juges du fond ont dit à deux reprises (à Rennes et à Angers) que Vincenzo ne pouvait pas être remis à l’Italie.
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Donc la chambre d’instruction de Lyon aujourd’hui, elle a ça entre les mains. Le débat pour nous reste tout à fait ouvert. »

Catherine Glon 

En réponse à la question d’un journaliste : « Et justement, pour en revenir aux gilets jaunes, beaucoup ont été condamnés pour le simple fait d’avoir été là. Est-ce que ça ne rejoint pas finalement cette affaire… ? »

Catherine Glon : « Non. À chaque fois, ça a été rattaché à une infraction qu’ils avaient commis eux-mêmes ou dont ils étaient complices. .. C’est absolument impossible en France aujourd’hui de condamner des manifestants simplement parce qu’ils manifestent. Ce qui s’est passé au moment des gilets jaunes, c’est un phénomène singulier qu’on n’avait pas connu … c’est qu’on arrêtait les gens avant la manifestation, on les mettait en garde à vue préventive, ce qui était complètement extraordinaire. Mais une fois qu’ils étaient dans la manifestation, on leur a imputé à chacun soit comme auteur principal soit comme complice un fait matériel précis. »

Catherine Glon 

Quand on veut mieux comprendre la notion de dévastation et pillage par rapport aux gilets jaunes, il faut se demander pourquoi aujourd’hui la France veut à tout prix appliquer ce mandat d’arrêt européen… Pour la même raison que l’Italie à la fin de la deuxième guerre mondiale a voulu garder cette loi, parce qu’on ne sait jamais… ça veut dire qu’aujourd’hui malheureusement, dans les différents États européens on est en train de glisser vers le passage d’une action individuelle à une action collective et c’est ce passage-là qui est extrêmement dangereux.
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Ce qui est inconcevable, c’est le fait d’aller dans une manifestation, peu importe la raison, et d’imaginer qu’on puisse rentrer à la maison dix ans après.
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À partir du moment où l’on va installer cette loi « dévastation et pillage » dans la jurisprudence européenne, il y a quelqu’un qui va la saisir et qui va l’utiliser. C’est ça le réel danger. »

Jean-Baptiste Ferraglio 

Dévoiement du MAE et dérive politique

C’est précisément là où est le danger. C’est dangereux pour les luttes sociales futures et puis aussi parce qu’il y a une dérive, un dévoiement. Le Mandat d’arrêt européen est un outil juridique utile, nécessaire pour que tous les pays européens puissent – par rapport à la liste des 32 infractions – s’échanger plus facilement qu’avec l’extradition les criminels, les meurtriers, les trafiquants, etc.
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… mais, on voit que cet instrument normalement vertueux, est utilisé contre des manifestants et il est dévoyé.
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Nous avons dans la Charte européenne des droits fondamentaux un texte … qui dit que la peine ne doit pas être disproportionnée par rapport aux faits commis… Et que se passe-t-il dans notre dossier par rapport à ce principe qui est supérieur pour tous les États européens ? …la cour européenne le cite… mais pour Vincenzo Vecchi (elle dit que le principe de) proportion, c’est l’affaire du pays d’émission, c’est l’affaire de l’Italie.
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Et le dévoiement, il est là. On a les textes, on a le principe, mais on ne veut plus l’appliquer. »

Pascale Jaouen

(à propos du MAE, conçu à l’origine pour…) 
« … pour poursuivre la criminalité organisée transfrontière,  on voit ce qu’on en fait désormais, à quel point un outil qui correspond à l’intérêt général subit un dévoiement insensé.
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…et ce que dit Madame Joly là encore est important. Si dans l’espace européen, sur  une simple idée que peu importe ce que fait un Etat et quelle que soit sa direction politique, un autre État de l’espace européen devra exécuter un mandat d’arrêt sans rechercher les valeurs qui soutiennent la loi, alors il n’y a plus aucune limite.
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(…)  dans cette histoire nous avons perdu tous nos repères :  (…) au nom d’une communauté européenne qui ne repose plus sur des valeurs mais sur une efficacité politique dont on ne comprend pas les enjeux, on va bouleverser tout ce à quoi on tient. (…)
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On sent bien qu’on a touché les limites d’un mécanisme européen qui ne repose plus sur l’idée qui l’a conçu… ce sont les valeurs démocratiques qui sont en danger… si ça c’est appliqué pour Vincenzo Vecchi (…) demain ce sera possible pour n’importe quoi parce qu’on ne voit pas comment la France fera marche arrière. (…) Le barreau français est mobilisé aussi, beaucoup de confrères seront à l’audience de la chambre de l’instruction –  c’est assez inhabituel – parce que le barreau français ou du moins une partie se sent très en danger sur l’application en droit alterne de ces notions là et on sent effectivement, comme le disait Jean-Baptiste, que la responsabilité collective, si elle est admise dans cette situation là sera demain assez facilement transposable en France – parce que l’outil européen aura prévalu sur nos valeurs et sur nos lois. »

Catherine Glon