Mensonges, falsifications et tromperies

« La tromperie, la falsification délibérée et le mensonge pur et simple employés comme moyens légitimes de parvenir à la réalisation d’objectifs politiques… »

Du mensonge à la violence -Hannah Arendt- 1972

En ce qui concerne les mémoires ou interventions (gouvernement italien et français, Commission européenne et Procureur), nous sommes frappés par le contenu exclusivement à charge des contributions qui fait fi des avancées de l’affaire depuis les verdicts d’Angers et de la Cour de cassation.

1 .1 Pour le gouvernement italien la falsification, le mensonge, la tromperie se déclinent sur tous les volets de l’affaire

Pour la justice italienne la preuve tout comme la présomption d’innocence n’existe pas puisque la notion de « concours moral » qui est ici présente permet d’assimiler toute personne présente aux auteurs de troubles et de condamner ces dernières à des peines très lourdes.

Cette approche si contraire aux droits fondamentaux européens fait de la falsification délibérée la base d’une condamnation monstrueuse et ce, en toute « légitimité » puisque comme il est dit dans le mémoire du gouvernement italien de juillet 2021 à la CJUE : 
Ainsi, lorsqu’il s’agit « du délit de dévastation et pillage » la jurisprudence italienne dit « il n’est pas nécessaire que l’auteur accomplisse matériellement un acte d’endommagement, à condition qu’il participe de façon consciente aux troubles perpétrés » (cass. 1ére chambre, no 11912 du 18 janvier 2019).

@ Lors du procès de Gênes en 2001, les forces de police sur ordre de la justice ont organisé un récit basé sur un certain nombre de photos accompagnées de commentaires qui a pour objet de démontrer la culpabilité de Monsieur Vecchi.  Ce récit servira de base à la justice italienne pour caractériser le délit comme criminel (une atteinte à l’ordre public sous le registre de « Pillage et dévastation »).

Or ce récit comporte des falsifications délibérées ainsi si on prend les quatre (sur sept) faits les plus incriminants on constate (sur les photos transmises par les avocats français à la chambre d’accusation du tribunal d’Angers) que :

  • Monsieur Vecchi ne participe pas à l’agression du journaliste,
  • Monsieur Vecchi n’a pas personnellement participé aux attaques de banques d’autant qu’il se trouve sur les photos très éloigné de ces actions,
  • Sur le « pillage du supermarché » aucune photo ne permet de voir Monsieur Vecchi participant à cette action, ce que montre la photo incriminante c’est une rue calme et Monsieur Vecchi, à plus de 15 mètres du magasin, buvant une cannette… Et donc rien ne permet de relier le fait de boire une cannette avec le pillage évoqué,
  • En dernier lieu, le fait de voir une voiture brûler à une certaine distance (comme de nombreuses autres personnes) ne sous-tend pas qu’il est automatiquement là parce que ce serait lui qui aurait lancé un cocktail Molotov…  C’est pourtant ce qui sera soutenu par la police au procès de Gênes alors qu’aucune preuve photographique n’existe…

@ L’émission en 2017 du MAE concernant la condamnation de Gênes était accompagnée d’un autre MAE émis en même temps par la justice italienne concernant Milan pour une affaire qui était éteinte (participation de monsieur Vecchi à une contre-manifestation interdite alors que la manifestation d’obédience fasciste était autorisée…).

Ce second MAE était une tromperie délibérée de la justice italienne et, sans la preuve de l’extinction de la peine, transmise par les avocats au tribunal de Rennes, ce second MAE avait en toute logique toutes les chances de donner lieu à instruction…

Par ailleurs, aucune case du document MAE n’a été cochée par la justice italienne de sorte que l’autorité judiciaire de l’État d’exécution, à savoir la France, n’est pas renseignée sur les 4 causes visées par l’article 695–22-12e du Code de Procédure Pénale et de fait, aucun renseignement n’est non plus fourni par l’Italie sur la signification de l’arrêt de la Cour de Cassation italienne à Monsieur Vincenzo Vecchi et ce, en dépit du supplément d’information ordonné par la Cour d’Appel de Rennes.

@ Dans le mémoire transmis par le gouvernement italien à la CJUE la problématique de la paix publique comme élément constitutif de l’infraction « dévastation et pillage » et la différence d’approche entre le droit italien et le droit français sont interprétées par le gouvernement italien comme mineure puisque la paix publique n’est que la poursuite d’un intérêt complémentaire qui en aucun cas ne peut écarter la double incrimination[1].

Cette approche est mensongère : la problématique de paix publique « n’est pas un intérêt complémentaire… » c’est une approche fondamentalement différente puisque qu’elle permet de criminaliser un délit voire la simple présence d’un individu…

Si ce point, pourtant essentiel, est minoré par le gouvernement italien quasiment falsifié c’est que justement il permet d’écarter d’emblée la double incrimination….

@ Il est également dit que refuser la remise de Monsieur Vecchi revient à assurer son impunité. Mais comment le gouvernement italien ose-t-il parler d’une impunité alors que la logique juridique à l’œuvre depuis le procès de Gênes organise la culpabilité de Monsieur Vecchi sans prendre en compte ni la responsabilité individuelle ni la réalisation d’un acte positif et que, depuis plus de 10 ans, ce dernier a quitté sa famille et son pays pour échapper à une condamnation injuste et illégitime du point de vue des droits fondamentaux européens ?

1 .2 L’enjeu pour le gouvernement italien : légitimer la pérennité d’une loi liberticide

L’enjeu pour le gouvernement italien est important puisqu’en cas de « victoire » c’est à dire de décision favorable ou d’une décision de la CJUE qui ne serait pas nettement défavorable, le gouvernement italien pourrait « laver » un  honneur sali par les évènements de Gênes, légitimer la pérennité d’une loi liberticide héritée de sa période fasciste et surtout pourrait continuer à développer, comme il le fait actuellement,  les accusations de « pillage et dévastation » avec un accord tacite de l’Europe, ce qui remettrait en question, dans le même temps, la légitimité pour elle-même d’un cadre de loi commun à l’Europe.

2.1 Pour le gouvernement français, le mensonge, la falsification et la tromperie sont aussi fortement présents

Dès le début de cette procédure en France cela devient patent dans les écrits et déclarations du procureur d’Angers :

@ Lors du renvoi de l’affaire devant la cour d’Angers le 2 octobre, nous avons eu la surprise de découvrir dans le mémoire du procureur d’Angers que Vincenzo Vecchi avait été « interpellé avec des armes incendiaires dites cocktails Molotov dont il avait aussi fait usage ». C’est un mensonge, Il a été arrêté quinze mois après. Les autorités italiennes n’ont donc jamais prétendu qu’il avait été arrêté les armes à la main.

@ De même, quand la justice italienne s’appuie sur le « concours moral » ou la « présence sur les lieux », le procureur d’Angers saute le pas et accuse Vincenzo Vecchi d’« avoir personnellement participé (…) à l’assaut de deux établissements bancaires (…) à la destruction de deux voitures, au pillage d’un supermarché (…) » Il va jusqu’à préciser qu’« on le voit notamment (…) voler une bouteille dans un commerce saccagé » alors que la justice italienne n’a produit ni photo ni témoin pour appuyer toutes ces allégations.

@ Après le refus de la cour d’Angers de remettre Vincenzo Vecchi aux autorités italiennes, le procureur d’Angers se pourvoit en cassation et prétend recourir au délit de « bande organisée » (article 132-71 CP). Lors des procès de Gênes, cette inculpation n’avait pas été utilisée par la justice italienne qui a été obligée de déterrer le délit de « dévastation et saccage » (loi créée en 1930 sous le régime de Mussolini) pour pouvoir criminaliser et condamner lourdement les manifestants.

@ Pourtant, selon le mémoire du procureur d’Angers, l’existence de la bande organisée serait bel et bien établie par la participation de Vincenzo Vecchi à une réunion préparatoire qui se serait tenue la veille de la manifestation du 20 juillet 2001 pour laquelle il a été condamné. Cela est un nouveau mensonge du parquet comme le montre le témoignage au tribunal de Gênes d’un membre de la Digos (l’équivalent italien des renseignements généraux) de Gênes, qui dit explicitement il s’agissait d’une « réunion préparatoire de la manifestation des migrants » qui avait eu lieu le jour même, le 19 juillet 2001.

Nous nous interrogeons sur la nécessité et les raisons, pour le ministère public, d’aggraver les faits au-delà du dossier fourni par l’Italie et de faire d’un manifestant un criminel récidiviste alors que, ce dernier habite maintenant en France depuis plus de 10 ans sans avoir susciter le moindre trouble.

2.2 Un choix gouvernemental

Ensuite, si on examine le mémoire produit par le ministère des affaires étrangères français pour le CJUE et la présentation orale qui a été faite on constate que ce que l’on pouvait prendre pour une orientation du parquet est en réalité un choix gouvernemental.

@ Le gouvernement français ment lorsqu’il rapproche « pillage et dévastation » et l’infraction pénale française de « vol avec dégradation et en réunion » en prétendant qu’il n’y a pas de véritable différence entre un délit et un acte identifié par la justice italienne comme criminel. On notera que cette thèse était présente dans le travail du procureur d’Angers et, que cette thèse a déjà été rejetée par la cour de cassation… qui estime qu’on ne peut mettre sur le même plan un délit et une inculpation pour « pillage et dévastation » liée à une atteinte à la paix publique dont le niveau des peines relève du criminel.  

Le gouvernement français, tout comme le gouvernement italien, avec ce mensonge vise à rendre possible la double incrimination et donc la remise de Monsieur Vecchi aux autorités italiennes.

@ Par ailleurs, Le gouvernement français en alignement avec la présentation italienne ajoute qu’il faut au nom de la coopération faire fonctionner le MAE en réduisant l’exception de la double incrimination…

Cela pourrait être une proposition du gouvernement français, mais en cherchant à l’appliquer de façon immédiate dans une affaire en cours le gouvernement français modifie la règle et fait pression sur la décision cadre fondant le MAE.

Jusqu’à présent, la décision cadre donne un espace « avec la double incrimination » qui se situe hors de l’automatisme du renvoi résultant des 32 catégories d’infractions ce que le gouvernement français néglige en cherchant à le réfuter.

@ En dernier lieu et à propos de la troisième question de la cour de cassation concernant la proportionnalité de la peine, le gouvernement français est particulièrement de mauvaise foi. Après quelques digressions critiques sur le jugement de la cour de cassation française qui mêlerait la proportionnalité du MAE avec la proportionnalité de la peine ainsi que les éléments correspondants de la Charte (des droits fondamentaux).  L’avis du gouvernement français est que le contrôle de la proportionnalité ne peut être réalisé par le pays exécuteur qu’il relève du pays émetteur et qu’en conséquence la disproportion éventuelle de la peine n’est pas un motif de non-exécution du MAE.

Il y a là, de la part du gouvernement français, une profonde falsification du réel puisque ce dernier sait que si les droits fondamentaux de la Charte s’étaient appliqués il n’y aurait pas eu le délit de « pillage et dévastation »

Le gouvernement français à propos de Monsieur Vecchi, est dans la recherche d’une alliance politique avec le gouvernement italien, se positionne en quasi-osmose avec ce dernier et, va très loin dans le soutien en s’appuyant sur des mensonges, tromperies, falsifications qui posent questions.

3.1. La contradiction de la commission européenne

@ Dans un premier temps la Commission, tout en prenant en compte le fait que l’incrimination de « pillage et dévastation » est une déclinaison juridique de l’atteinte à la paix publique, va soutenir que les divergences entre les éléments constitutifs requis n’ont pas d’incidence sur l’appréciation de la double incrimination et donc elle se prononce pour le renvoi de Monsieur Vecchi.

Puis, cette même commission va dire que si seuls certains faits à la base du MAE constituent une infraction dans l’Etat d’exécution alors la condition de double incrimination est seulement partiellement satisfaite…

Pour la Commission il y a alors dilemme puisque soit on étend le motif d’exécution à des faits qui ne sont pas des infractions soit on limite le MAE à des situations de double incrimination stricte et nous avons alors « une double incrimination imparfaite »

@ Cette position de la Commission est à la fois parfaitement hypocrite et parfaitement surréaliste : si on reste dans la décision cadre du MAE, dès lors force est de constater qu’il ne peut y avoir double incrimination et que donc la remise de Monsieur Vecchi est impossible.

Juridiquement, parler d’une « double incrimination partiellement satisfaite » est un non-sens, une façon de produire de la confusion, un véritable rideau de fumée… sur une situation dans laquelle un individu risque une incarcération de 12 ans et ce, plus de 20 ans après les faits.   

@ Comme La Commission ne se sent pas en mesure de donner et rappeller la règle instaurée par la loi cadre du MAE… elle va soutenir en bout de course que c’est à l’autorité judiciaire du pays d’exécution d’exercer sa marge d’appréciation…

 3.2 Une justice européenne encline à valider des régimes d’exception

@ Pour nous, le vrai problème c’est le pourquoi d’un tel écran de fumée ? Qu’une instance aussi importante que la Commission qui a pour objet de promouvoir l’intérêt général de l’Union, de veiller au respect et à l’application du droit européen soit incapable de questionner les écarts de la justice italienne – pays pourtant signataire du traité de Lisbonne en 2007- vis à vis des règles européennes est pour nous Comité un vrai problème.

@ Que cette commission soit incapable de prendre position sur cette condamnation alors que les fondamentaux européens sont bafoués est très inquiétant (non-respect de la Charte des droits fondamentaux, non existence de la preuve au sens juridique du terme, acceptation d’un droit d’exception « pillage et dévastation » aux origines fascistes).

@ Très inquiétant pour l’avenir de la justice européenne mais aussi pour l’avenir juridique de l’Union puisque cela valide en creux la possibilité que des régimes d’exception (juridique dans ce cas) cohabitent au sein d’un même ensemble avec des États qui se définissent comme « démocratiques ».

4. Le procureur, répète sans nuance des propos déjà largement tenus et se conforme en tout point à la position des États en présence

Le procureur de la CJUE comme le procureur en France dirige l’enquête pénale et exerce l’action publique en poursuivant les auteurs d’infractions dans le cadre de l’intérêt général de l’Union….

Dans le cas qui nous concerne, le procureur général va entériner et faire siens, sans aucune question, sans la moindre réflexion personnelle (prenant en compte les objectifs et intérêts de l’Union), les falsifications et mensonges des États en présence :

@ La double incrimination est satisfaite et pour cela il va prendre appui sur les argumentaires italiens et français

@ Paix publique ou pas paix publique les faits sont passibles d’une sanction pénale… dès lors, la question de la divisibilité des faits ne se pose pas et serait de plus sans pertinence pour l’exécution du MAE.

@ La question de la proportionnalité de la peine ne se pose pas non plus puisque c’est à l’État émetteur de vérifier la proportionnalité de la peine ; de tout façon, la disproportion de la peine n’est pas un motif de non-exécution ;

@ Quand au respect des droits fondamentaux résultant de la Charte pour le procureur, ces derniers sont nécessairement respectés par l’État d’émission…

Aucun argument présenté par le procureur n’échappe au mensonge, à la falsification et à la tromperie.


[1] La double incrimination examine si les délits sont similaires dans les deux pays ; l’un d’émission du MAE, l’autre d’exécution.