Droits fondamentaux vs collaboration européenne

Lettre aux députés/es et sénateurs/rices

Petit historique rapide aux origines de la décision de la CJUE

Le 14 juillet 2022 la Cour de justice européenne rendait son avis sur les trois questions préjudicielles posées par la Cour de cassation en janvier 2021 relatives au Mandat d’arrêt européen (MAE) émis en 2016 par la justice italienne à l’encontre de Monsieur Vincenzo Vecchi.

Ce mandat émis par la justice italienne remonte à la participation de monsieur Vecchi comme manifestant au contre-sommet de Gênes de 2001 où la violence policière fut telle qu’au-delà des nombreux blessés et torturés, Carlo Giuliani fut tué par la police.
Comme 9 autres manifestants, Monsieur Vecchi fut jugé et condamné en 2009 (ce qui sera confirmé par la Cour de cassation en 2012) à 12,5 années de privation de liberté, le principal chef d’inculpation « Dévastation et pillage » de 10 années considère que cette manifestation constitue une atteinte à l’ordre public et que ce délit est d’ordre criminel.
Dès lors, le récit italien qui va être constitué sur la base de photos (qui ne montrent aucune véritable action violente à l’égard des personnes et des biens) accompagnées de légendes policières mensongères, permet de condamner Monsieur Vecchi sans avoir besoin de preuves au sens juridique du terme ce qui transforme la présomption d’innocence en présomption de culpabilité.
A cette présomption de culpabilité s’ajoute la notion « de concours moral » qui permet qu’on ne prenne plus en compte la responsabilité individuelle de tout manifestant mais qu’en contrepartie chaque manifestant devienne responsable de ce que tous les autres manifestants ont pu éventuellement faire…
L’arsenal judiciaire de la justice italienne à la base du Mandat d’arrêt européen de 2016 est très éloigné des droits fondamentaux qui doivent pourtant être respectés par les États signataires dans l’UE et du code pénal français (le pays exécuteur).
En France (à l’époque des faits donc en 2001) la loi pénale considère qu’une infraction lors d’une manifestation constitue un simple délit et non un crime… et que la responsabilité individuelle doit être prouvée.

Cette différence de loi pénale est suffisamment centrale pour que les chambres d’instruction des cours françaises de Rennes (2019) puis d’Angers (2020) ne suivent pas la demande du Mandat d’arrêt européen telle que formulée par la justice italienne. La Cour de cassation en janvier 2021 reconnaîtra le bien fondé du jugement d’Angers tout en demandant l’avis de la Cour de justice européenne.

La décision de la Cour de justice européenne

Au-delà, des 32 catégories d’infractions de la loi cadre de 2002 permettant aux États de procéder à la remise automatique des prévenus, il existe aussi, au cœur de la procédure du MAE, une particularité protectrice des citoyens et de nos libertés qui fait qu’un État ne peut inculper pour n’importe quel motif un individu. Cette particularité c’est la double incrimination (il faut que l’infraction du pays émetteur soit aussi une infraction dans le pays exécuteur -Décision-cadre 2002/584/JAI-).
C’est à cette particularité que tous les mémoires présentés à la CJUE par les États (Italie et France) et les institutions (Commission européenne et procureur de la CJUE) vont s’attaquer et, c’est également cette particularité que la décision de la CJUE va mettre en pièce.

L’affaire Vincenzo Vecchi va permettre par sa spécificité – un peu comme le cheval de Troie – à certains États et institutions européennes de transformer la loi cadre du MAE de 2002 en un instrument purement fonctionnel de collaboration juridique des États en faisant abstraction de l’intégralité des droits fondamentaux européens.
Ainsi, pour la Cour de justice européenne l’absence de correspondance et donc l’impossible « double incrimination » ne peut être retenue pour au moins trois catégories de raisons : cela porterait atteinte à l’effectivité de la procédure de remise et à la lutte contre l’impunité, cela nuirait à l’harmonisation minimale du droit pénal au niveau de l’Union… et la correspondance nécessaire ferait défaut dans un grand nombre d’infractions ce qui nuirait à l’objectif poursuivi par la décision cadre de 2002.
En conséquence la double incrimination ne peut être retenue et la remise de Monsieur Vecchi s’impose.
En fait, la CJUE ne procède à aucun examen sérieux des fondements de la loi « Dévastation et pillage » au regard des droits fondamentaux de l’UE… quant aux différences fondamentales entre les législations pénales italo-française il ne faut surtout pas les prendre en compte puisque par essence elles nuisent à la fonctionnalité nécessaire des bonnes relations juridiques entre États de l’UE c’est-à-dire au volume de remise des prévenus et, tant pis pour les droits fondamentaux européens des citoyens et l’idéal démocratique européen…

La suite des réponses est dans la même veine, cette même Cour va estimer que même si une partie des faits incriminés dans l’État d’émission ne constituent pas une infraction dans l’État membre d’exécution.
Le MAE doit être exécuté car cela ne constitue pas une des conditions limitatives prévues dans la décision cadre de 2002.
L’individu n’est pas condamnable dans le pays d’exécution pour les faits qui peuvent être reconnus mais pour les délits que la justice du pays émetteur lui a attribués. De plus, une telle approche fait que l’ajustement du rapport entre la peine et les délits n’existe pas ce qui, là encore contrevient aux fondements démocratiques de l’UE puisque la proportionnalité des peines ne peut plus être respectée.
La CJUE va même plus loin, en ce qui concerne la proportionnalité des peines puisque la Cour estime qu’il ne revient pas à l’autorité judiciaire d’exécution d’évaluer la peine prononcée par l’État d’émission.
Le présupposé de la CJUE est que tout État de l’UE vérifie (sans aucune contrainte externe) que l’intégralité des droits fondamentaux européens est respectée lors de l’émission du MAE ce qui est une fiction, une fable grossière (si l’Italie avait fait cet examen le procès de Gênes n’aurait pu avoir lieu…).

Des conséquences bien mal mesurées par la CJUE…. C’est loin d’être sûr…

Les décisions de la CJUE, au-delà de l’injustice qu’elles produisent vis-à-vis de Monsieur Vecchi, sont extraordinairement inquiétantes à plusieurs titres.

Tout d’abord, cette décision de la CJUE qui doit faire jurisprudence pour l’ensemble des États de l’Union fait entrer de façon directe dans l’espace européen dit démocratique, sous un prétexte fonctionnel, un cadre de loi explicitement fasciste « Dévastation et pillage » dont les attributs sont hautement liberticides et contraires aux droits fondamentaux de l’UE. Ce faisant, cette décision qui criminalise les manifestants reconnaît comme légitime en Europe une juridiction d’un temps que l’on croyait à tort révolue.
Vis-à-vis des différents pays de l’UE, elle oblige ces derniers à accepter des MAE qui peuvent être dans leur fondement contraires aux règles juridiques de ces pays (exécuteurs) voire même contraires à leur Constitution.

Il serait ainsi possible que la France (dont la législation pénale n’intègre pas l’avortement comme un délit et même le protège) soit dans l’obligation de remettre à la Pologne une femme poursuivie par un MAE pour cette raison ; Il pourrait en être de même pour un accompagnant Grec réfugié en France dans le cas d’une assistance à la fin de vie. La France n’est décidément plus une terre d’asile.
Si ces cas virtuels sont emblématiques, on se rend rapidement compte que tous les écarts des législations pénales entre États peuvent donner lieu à des poursuites sanctionnées par un MAE dont il serait impossible d’examiner le bien- fondé dans les pays d’exécution.

Par ailleurs, cette décision de la Cour de justice européenne implique aussi de profondes transformations dans le fonctionnement du MAE lui-même :
La loi cadre de 2002 continue certes à exister tout comme la prétendue « double incrimination » mais ses objectifs deviennent purement fonctionnels. Dans les faits, la double incrimination n’existe plus.
Cette dernière est trop compliquée, elle porte atteinte à l’effectivité de la procédure de remise. Cette CJUE considère même que la simple émission d’un MAE doit être considérée comme un signal fort qui donne « validité » à la demande du pays émetteur.
Et comme la « double incrimination » est dans les faits abolie, la défense n’a plus aucun rôle dans la procédure, les avocats de la défense deviennent optionnels… et, un droit fondamental et constitutionnel celui de la défense est dans les faits sans objet.

Et Monsieur Vecchi dans tout ça…

Toute personne qui a examiné les pièces du procès de Gênes en 2009 et le récit construit par la justice italienne avec ces photographies aux légendes consternantes de duplicité qui ont servi à monter l’accusation de « Dévastation et pillage » sait que nous sommes face à une « affaire »

Affaire en 2001, lors du contre-sommet de Gênes où la violence déployée par la police sous les ordres du gouvernement n’avait pas qu’un objet de répression immédiat mais aussi et surtout avait pour objet de museler pour de longues années tout mouvement social…
Affaire, lors du procès des policiers accusés « de mauvais traitements » qui se moquaient des juges en plein tribunal puisqu’ils avaient déjà été blanchis par le gouvernement avant le procès….
Affaire en 2009, lors d’une mascarade de procès à Gênes où seules 10 personnes furent condamnées à des peines criminelles très lourdes « Dévastation et pillage » pour souvent avoir simplement manifesté…
Affaire en 2012, la confirmation du caractère criminel des actes de Vincenzo Vecchi par la Cour de cassation italienne fera qu’il viendra se réfugier en France à Rochefort en Terre dans le Morbihan en quittant sa compagne et sa toute jeune fille.
Affaire que son arrestation en août 2019, son incarcération et finalement sa libération par le tribunal de Rennes après un incroyable feuilleton judiciaire où on découvre qu’un faux MAE a aussi été lancé par l’Italie. Le soutien sans faille des avocats et du Comité créé pour sa défense dans le village même où il s’est réfugié montre son utilité…
Affaire que la reprise d’un travail salarié fin 2019 et d’une vie sans avoir à se cacher et pouvoir enfin reprendre une relation avec sa fille qu’il n’a pas vu grandir.
Affaire qui de 2019 à 2021 va le conduire de procédure en procédure au tribunal d’Angers puis de nouveau à la Cour de cassation ou enfin on reconnaît la justesse de sa défense même si cette dernière demande un avis.
Affaire que les incessantes interventions du parquet pour casser les décisions des tribunaux d’appel.
Affaire en 2021 où la Cour de justice européenne sur les questions préjudicielles de la Cour de cassation va recevoir des mémoires uniquement à charge des parties prenantes et où on retrouve sous la plume du ministère des Affaires étrangères français des arguments mensongers déjà développés par le procureur d’Angers….
Affaire en 2022 où la Cour de justice européenne efface d’un trait toute possibilité de reconnaître une injustice et légitime pour l’ensemble des pays de l’UE la possibilité de poursuites sur la base d’une législation pénale fasciste.
Affaire enfin que cette vie de non coupable des faits dont on l’accuse qui depuis 2001 doit être construite et reconstruite sans relâche par Vincenzo Vecchi et dont les institutions et gouvernements, sans la moindre humanité, avec froideur et mépris, ne retiennent rien.

Compte tenu de l’extrême gravité de ce rendu d’avis de la CJUE, le Comité de Soutien vous prie de bien vouloir intervenir officiellement sur ce sujet en vous adressant aux plus hautes instances (Président de la République, Gouvernement Français, Garde des Sceaux, Parlement Européen), par tout moyen lettre, question…
Ainsi qu’auprès de toute instance politique ou de justice qu’il vous apparaîtra opportun d’interpeller sur le sujet, afin d’intercéder en faveur de la non-exécution du mandat d’arrêt européen visant Vincenzo Vecchi.

Le Comité de soutien Vincenzo Vecchi.

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