Le raisonnement biaisé du procureur général de la Cour de Justice Européenne

Le procureur général de la Cour de Justice Européenne vient de rendre  son avis-réquisitoire  dans l’affaire Vincenzo Vecchi.

Si conformément à son rôle de Procureur Mr Athanasios Rantos conclut à l’exécution par la France du MAE dont Vincenzo Vecchi fait l’objet et à sa remise à l’Italie, c’est au prix d’un raisonnement biaisé, éludant la réalité des décisions italiennes et françaises déjà rendues, déformant le sens des textes, ignorant la cohérence des droits du citoyen européen, énoncés par la Charte des Droits Fondamentaux.

Pour  rappel : l’enjeu du débat judiciaire est de déterminer, sous l’éclairage des textes européens – Charte des Droits Fondamentaux comprise – si l’infraction italienne de « dévastation et pillage » de l’article 419 du code pénal italien pour laquelle Vincenzo Vecchi a été condamné à 10 ans d’emprisonnement, aurait pu être sanctionnée en France, par équivalence, avec notre délit de « vol avec dégradation »  ou  « dégradation ».

Et donc si la condition de la double Incrimination est satisfaite ou pas . Si oui, la France doit remettre Vincenzo Vecchi à l’Italie, si non l’exécution du MAE doit être refusée.

La cour de cassation française suivant la Cour d’Appel d’Angers a admis que :

  • L’atteinte à la paix publique caractéristique de « dévastation et pillage » est un élément essentiel de cette infraction
  • La complicité passive, le concours moral n’existant pas en droit français, 2 des 7 faits constituant cette infraction unique reprochée à Vincenzo Vecchi ne pouvaient être reconnus comme punissables en France.

Mais avant de rendre sa décision finale sur le MAE, la Cour de Cassation a formulé une demande d’interprétation auprès de la Cour de Justice Européenne par trois questions :

1ère question : Est-ce que l’on peut estimer qu’il y a bien double incrimination au regard des articles 2 et 4 de la décision cadre, alors que « dévastation et pillage » se caractérise essentiellement par l’atteinte à la paix publique, c’est à dire une atteinte visant un intérêt général étatique alors que vol avec dégradation n’atteint que des intérêts privés ?

2eme question : Est-ce que les articles 2 et 4 permettent aux juges de l’état d’exécution de refuser d’exécuter un MAE quand , pour une infraction unique reposant sur 7 faits, seuls 5 faits sur 7 sont punissables dans l’État d’exécution ? Est-ce que l’État d’exécution est autorisé à examiner si l’État d’émission les considère comme divisibles ou pas ?

3eme question : Est-ce que l’article 49 de la Charte des Droits  Fondamentaux qui édicte le principe de proportionnalité de la peine impose à la France de refuser le MAE quand seulement certains faits auraient été punissables sur son territoire , la peine devenant disproportionnée par rapport aux faits fondant l’incrimination ?

Sans surprise, le procureur justifie que la condition de la double incrimination est bien remplie, au motif que l’atteinte à la paix publique n’étant qu’un des éléments constitutifs de l’infraction de « dévastation et pillage », il peut être considéré comme équivalent en application de la formulation de l’article 2  qui préconise que la concordance des faits soit recherchée : « Quels que soient les éléments constitutifs ou la qualification de l’infraction » dans une acceptation « flexible » des infractions voisines en présence, conformes aux principes de reconnaissance mutuelle des décisions de justice d’efficacité de l’outil du MAE.

Au titre de la jurisprudence GRUNDZA et de la prise en compte du contexte juridique, le procureur rappelle que l’inexécution du MAE reste une exception appliquée restrictivement.

C’est ainsi que sur cette première question le procureur conclut à estimer satisfaite la condition de la double incrimination au prix d’une « éclipse » sur la nature essentielle reconnue à l’atteinte à la paix publique par les juridictions italienne et française. Les deux s’accordent sur la nature de cet élément de l’infraction visant à lutter contre l’insurrection, ce qui est totalement étranger aux dégradations envers un particulier.

Il est clair que le procureur détourne la formulation de l’article 2 du paragraphe 1 qui ne correspond qu’au besoin de surmonter les différences d’appellations techniques d’un État à l’autre, en niant au passage que l’intérêt protégé en jeu dans l’infraction de « dévastation et pillage » est complètement différent dans son essence avec le fait de voler un particulier en détruisant un bien privé. Alors que comme il l’écrit lui même, la France par ses juges doit vérifier si l’intérêt protégé en jeu dans l’infraction est bien « semblable ». La dimension d’atteinte à la paix publique indissociable du délit « dévastation et pillage» pèse de façon écrasante sur la peine qu’il détermine : une peine de nature criminelle avec un minimum de 8 ans pour « dévastation et pillage » et une simple peine d’emprisonnement, beaucoup moins importante, pour le simple délit de « vol avec dégradation ». Le raisonnement biaisé du procureur lui permet de légitimer l’intégration d’une loi fasciste dans le droit européen ce qui est contraire à l’esprit même de la Charte des Droits Fondamentaux qui se veut espace de liberté et de justice.

Mais c’est surtout sur la deuxième question préjudicielle que le Procureur est pris en flagrant délit de falsification des données de la cause.

Il soutient  qu’en application de l’article 4 paragraphe 1 de l’article cadre , il suffit qu’une partie des faits visés dans le MAE soient « transposables » en France en un délit approchant de vol avec dégradation ou simplement dégradation pour exécuter le MAE.

Et pourtant ,  Il indique lui même que selon le gouvernement Italien « reprenant ce qu’a jugé la Cour d’Appel de Gênes et la Cour Suprême de Cassation Italienne » il y a unité intrinsèque des différents faits constitutifs du délit qualifié de « dévastation et pillage » et qu’il n’apparaît pas envisageable de diviser ces faits.

 Vincenzo Vecchi a été condamné pour 7 faits, intrinsèquement liés et non divisibles selon l’État d’émission lui même. La mesure de la peine, 10 ans, correspond,  par voie de conséquence,  au nombre de ces 7 faits sous l’infraction unique de « dévastation et pillage».

Or, seuls 5 faits sont reconnus punissables par l’État d’exécution, ce qui ne permet pas de considérer la condition de double incrimination comme satisfaite. De plus, comme l’indique le procureur, l’État d’exécution conserve une marge d’appréciation pour refuser d’exécuter le MAE selon l’article 4 paragraphe 1 de la décision cadre.

C’est justement au nom des principes de proportionnalité et du contexte que l’État d’exécution – à savoir la France – peut se réserver la faculté de respecter la liberté d’un citoyen européen et de lui rendre justice quand il n’aurait pu être pénalement sanctionné sur son territoire pour 2 des faits.

Si on prend en compte le contexte, comme le préconise le procureur, rappelons que Vincenzo Vecchi n’a agressé ni blessé personne, qu’aucune violence physique n’est en cause, qu’il a été emprisonné un an plus 3 mois déjà pour ces faits, exilé de son pays depuis 11 ans, éloigné des siens et qu’il est ainsi injuste, indécent, dans ces conditions, de parler d’impunité à son endroit que l’exécution du MAE coûte que coûte viserait à éviter.

Sur la troisième question selon le Procureur, la proportionnalité de la peine ne serait que du ressort de l’Italie qui a prononcé la condamnation. Toujours selon le Procureur, cette question de proportionnalité exigée par l’article 49 de la Charte des Droits Fondamentaux, n’est pas visée dans les motifs obligatoires et facultatifs de refus prévus aux articles 3 et 4 de la décision-cadre.

Au nom de la spécificité du MAE qui s’appuie sur la reconnaissance mutuelle, le procureur réfute la nécessité de considérer la proportionnalité de la peine sous prétexte que Vincenzo Vecchi n’est pas dans les « circonstances exceptionnelles » que justifieraient de mauvais traitements ou des traitements dégradants.C’est éviter de répondre à la question et refuser d’appliquer les principes  fondamentaux du droit européen, notamment celui édicté par l’article 49 de la Charte des Droits Fondamentaux.

Donc, en effet, comment une peine prononcée pour 7 faits constituant l’infraction peut elle rester proportionnée seulement pour 5 faits reconnus punissables ? Ce principe de proportionnalité de la peine (et non du MAE) doit être respecté et a toute sa place dans la marge d’appréciation de l’autorité judiciaire d’exécution, la conduisant à refuser l’exécution du MAE et la remise à l’Italie.

Le Comité de Soutien à Vincenzo Vecchi