La justice française et son indépendance

Erreur judiciaire

Lors de l’audience du 14 août 2019, l’avocat général reconnait le Mandat d’Arrêt Européen (MAE) concernant Milan 2006 pour Vincenzo Vecchi comme valide et plaide la remise aux autorités italiennes sur la base de ce seul mandat.

Si la cour d’appel n’avait pas demandé un complément d’informations sur ce MAE et si le comité de soutien n’avait pas fourni la pièce juridique attestant que la peine pour Milan était purgée, l’avocat général aurait commis une erreur judiciaire incroyable avec la lourde conséquence d’avoir remis Vincenzo Vecchi derrière les barreaux des geôles italiennes sous un motif complétement erroné.

La procédure du MAE se veut une procédure simplifiée d’État à État mais, en l’espèce, l’avocat général a fait preuve dans sa plaidoirie d’une complaisance sans pareille vis-à-vis de l’État émetteur, la justice italienne ; le dossier à charge n’ayant pas fait l’objet d’une étude approfondie pour en évaluer le bien fondé.

Si l’instruction du dossier à charge lors d’un MAE se résume à ce que l’avocat général se comporte comme un fonctionnaire zélé qui valide un simple formulaire alors la porte est ouverte à tous les abus. La justice italienne ne s’en est d’ailleurs pas privée en déclarant dans sa remise de compléments d’information qu’elle savait que la peine était purgée et qu’elle avait sciemment délivré ce MAE. Ce faisant, elle a aussi bafoué la loyauté dont elle aurait dû faire preuve dans cette procédure.

Il est à noter que ces formes d’abus dans l’usage du MAE vont bien au-delà du cas Vincenzo Vecchi et que nombre d’irrégularités sont soumises à la Cour européenne de Justice. Nous nous alarmons que cette dérive puisse s’accroitre avec la montée en puissance de régimes politiques de plus en plus autoritaires au travers de l’UE et que, si la procédure du MAE dans son instruction à charge restait en l’état, la justice se subordonnerait à une politique collaborationniste. Le mandat d’arrêt n’unifie pas le droit au niveau de l’ensemble de l’Union européenne, mais, au contraire, étend le champ d’application à tout le territoire de l’UE, des procédures d’exception et lois liberticides[1], spécifiques à chaque État membre[2].

Avec le mandat d’arrêt, le contrôle judiciaire ne porte plus que sur la régularité formelle du document. L’abandon des procédures de vérification fait que la remise a un caractère quasiment automatique et présente une forme purement administrative. Alors que dans la procédure d’extradition, le contrôle judiciaire portait sur la matérialité des faits et la légalité de la demande. Selon le principe de reconnaissance mutuelle, le MAE réduit désormais l’action judiciaire à son simple examen et non à l’étude des accusations ET de leur validité.

Double défense

Au regard de l’instruction à charge, la défense ne peut pas s’exercer pleinement si l’on ne considère pas la double défense comme une nécessité impérieuse. Dans cette procédure d’État à État, l’accès au dossier juridique ne peut s’effectuer que par l’autorité désignée d’un avocat du pays émetteur du MAE, en l’occurrence l’Italie.

Dans le cas de Vincenzo Vecchi, le travail du comité de soutien, en relation avec des avocats italiens, a réussi à dévoiler la basse manœuvre de la justice italienne qui tentait de faire croire qu’une peine était en cours pour le procès de Milan. En exhumant les documents du dossier italien qui prouvaient que la peine était déjà purgée, Vincenzo Vecchi a ensuite nommé un avocat italien, Maître Losco, le 9 Septembre – soit un mois après son arrestation – afin d’officialiser ces documents dans la procédure du MAE. In fine, la cour de Rennes a considéré que cette procédure était nulle et non avenue.

Sans la vigilance et le travail assidu du comité de soutien, cette vérité ne serait jamais apparue. Il aura fallu attendre près de 50 jours pour que cette remise des pièces attestant la peine purgée pour Milan soit officielle. Précisons que sans l’acceptation par les juges d’un complément d’informations et donc l’obtention d’un délai, la défense n’aurait jamais eu le temps de verser ces documents au dossier.

Pourtant dans la procédure du MAE, une demande officielle est faite au prévenu, suite à son arrestation, de nommer un avocat du pays émetteur. Dans notre affaire, la demande a bien été faite par l’avocat général. La cour de cassation a jugé que la réponse de Vincenzo Vecchi n’était pas une demande clairement formulée, alors même que l’avocat général lors de sa plaidoirie reconnaissait que la double défense devrait être souhaitable (le tout étant bien évidemment au conditionnel pour ne pas déjuger son prédécesseur).

C’est pourtant cette double défense qui a permis d’éviter une erreur judiciaire. La restreindre à une demande suivant une formule type que devrait énoncer un étranger qui ne maîtrise pas tous les rouages de la mécanique judiciaire est une atteinte fondamentale aux libertés individuelles de la défense. La cour de cassation en appliquant la loi à la lettre oublie que la justice française a évité une erreur judiciaire grâce à une double défense improvisée par le comité de soutien. Elle aurait dû au moins reconnaitre dans la forme que sa demande avait été formulée dans les temps comme l’avait considéré le tribunal de la cour d’appel de Rennes.

Dans la procédure du MAE, il apparait clairement un déséquilibre entre l’accusation et la défense :

  • L’instruction à charge réduite à une simple formalité administrative sans aucune forme d’étude approfondie du bien-fondé de l’accusation,
  • Une défense restreinte dans ses droits individuels.

L’équité dans la procédure du MAE n’est donc pas garantie. Pour preuve, rappelons-le, sans le travail du comité de soutien et l’aide des avocats, cette dissymétrie aurait conduit Vincenzo Vecchi en prison sans objet.

L’instrumentalisation du MAE

Enfin, nous tenons à dénoncer l’instrumentalisation du MAE faite par la justice italienne en émettant le MAE concernant Milan 2006. Instrumentalisation assumée à demi-mot quand la justice italienne affirme lors de la transmission du complément d’information qu’elle savait que ce MAE n’était pas valide. Au-delà de cet acte purement déloyal, cette basse manœuvre avait pour but d’augmenter un discrédit à charge contre Vincenzo Vecchi. Cette manœuvre avait aussi pour but de diaboliser Vincenzo Vecchi comme un dangereux activiste auprès des médias italiens et français et donc de diffuser cette propagande auprès de l’opinion publique.

L’instrumentalisation ne s’arrête pas là. Pourquoi émettre un MAE sans objet et sans fondement pour Milan alors qu’il y en a un autre pour Gênes ? Cette supercherie n’est qu’un écran de fumée et cherche à faire diversion d’un MAE inconsistant, celui de Gênes. L’émission du MAE pour Milan n’est au fond qu’un révélateur : la faiblesse des arguments de la procédure pour le MAE de Gênes. Le parquet italien se devait d’étayer cette procédure mais était dépourvu d’arguments. En émettant ce MAE sans objet et sans fondement, le parquet italien pensait pouvoir combler ce manque mais sa vile manœuvre a été démasquée par le comité de soutien avec l’aide des avocats français et italiens.

L’instrumentalisation se poursuit aussi au niveau de l’Union Européenne. Ce MAE sans objet et sans fondement reste actif dans les autres États de l’UE. Bien que le tribunal de Rennes ait reconnu que le MAE de Milan soit nul et non avenu, il n’existe pas de procédure pour casser ce MAE dans les autres État membres de l’UE. Dès lors, Vincenzo Vecchi est victime d’une deuxième injustice flagrante puisqu’il est privé d’aller et venir librement dans l’Union européenne bafouant ainsi le droit à la libre circulation des citoyens européens au sein de l’espace Schengen.

Dans le cas présent, sommes-nous totalement dans une logique judiciaire de droit commun, ou chercherait-on à utiliser un outil de procédure à des fins politiques ? Émettre un MAE sans objet et sans fondement est un acte de forfaiture et ne peut être considéré que comme une insulte à la justice française, un déni de démocratie en diffusant de fausses informations et une atteinte grave à la liberté individuelle.

Cette instrumentalisation ne sert qu’à étayer un dossier mal établi de bout en bout au service d’une politique de criminalisation du droit à manifester et au détriment de nos libertés individuelles.

Conclusion

Dans ce contexte éminemment politique, nous attirons votre attention sur la plaidoirie de l’avocat général de la cour de justice de l’UE, Manuel Compos Sanchez-Bordona, le mardi 26 Novembre 2019 [3]. L’avocat général estime que les garanties d’indépendance du procureur français sont insuffisantes pour délivrer des mandats d’arrêt européen. Nous entendons élargir la question de l’impartialité du procureur français à émettre des MAE à l’impartialité requise aussi pour exécuter des MAE.

Nous ne pouvons pas ignorer que l’État italien au travers de sa justice et de ses médias mène une traque sans limite contre Vincenzo Vecchi et qu’au demeurant des pressions ont été exercées sur les instances juridiques françaises à l’annonce du jugement rendu par la cour d’appel de Rennes.

En Janvier 2016, la cour d’appel d’Athènes casse un MAE émis par l’Italie sur des chefs d’inculpation similaires à ceux qui sont présents dans les MAE concernant Vincenzo Vecchi. La non-exécution du mandat européen par la justice grecque a été motivée sur la base que la responsabilité collective n’était pas reconnue par le droit pénal grec et qu’il n’existait pas le délit de « dévastation et pillage ». En respectant les principes de proportionnalité et de justice équitable, la cour d’appel d’Athènes a considéré que les accusations portées par le MAE ne relevaient pas de délits graves mais n’étaient que de simples faits mineurs. La justice italienne qui criminalise les manifestants avec des peines lourdes pour des faits mineurs[4] poursuit, à l’aide du MAE, des citoyens qui tentent d’échapper à des lois liberticides.

Aujourd’hui, la justice française s’honorerait d’avoir le courage de casser les MAE concernant Vincenzo Vecchi sur les principes d’une justice équitable, indépendante et la défense de nos droits individuels.


[1] Cf. https://www.comite-soutien-vincenzo.org/actualites/comment-le-mae-gangrene-les-libertes-fondamentales-laffaire-vincenzo-vecchi/ : Ces condamnations [MAE pour Gênes et Milan] ont été prononcées sous le chef d’inculpation « dévastation et pillage », du code pénal italien, le code Rocco, introduit par le régime fasciste en 1930 et réveillé pour la première fois pour des manifestations de rue lors du procès de Milan puis de Gênes pour justifier les répressions abusives.

[2] Cf. https://www.lemonde.fr/idees/article/2011/01/18/le-mandat-d-arret-europeen-un-deni-de-l-etat-de-droit_1466511_3232.html : Cette affaire dévoile ce que permet le mandat d’arrêt européen et que n’autorisait pas l’ancienne procédure d’extradition. Le mandat d’arrêt met en place un mécanisme de solidarité entre gouvernements européens vis-à-vis des oppositions qu’ils ne veulent pas reconnaître comme politiques et qu’ils désignent comme criminelles.

[3] Cf. https://amp.lefigaro.fr/actualite-france/la-france-pourrait-bientot-ne-plus-avoir-le-droit-de-delivrer-des-mandats-d-arret-europeens-20191127

[4] En effet, ces décisions de justice sont basées sur la loi ROCCO. Une loi fasciste réactivée en 2006, 70 ans après son entrée en vigueur et que les manifestants de Milan et Gênes ne pouvaient connaitre lors des faits en 2001. Une manœuvre destinée à criminaliser les manifestants par le simple concours moral (sanctions collectives au détriment de libertés individuelles sans preuve établie) et le chef d’inculpation « pillage et dévastation » (peines lourdes pour des faits mineurs).

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