Interview de Mattia – Viviana et Giuseppe

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1)Mattia

Je suis un ami de Vincenzo. Je le connais depuis tellement d’années. Quand j’ai appris son arrestation, j’avais très envie de venir ici pour vous rencontrer, savoir de quoi vous aviez besoin et par solidarité, et pour trouver aussi un moyen d’aider depuis l’Italie au nom de cette solidarité.

2)Viviana

Je suis Viviana, l’ex compagne de Vincenzo quand il était en Italie, et je suis la mère de sa fille, Viola. Quand on a appris la situation, on a cherché à venir le plus vite possible dans l’espoir de pouvoir le voir, ce qui n’a pas été possible jusqu’à maintenant. On a quand même fait une demande de parloir, en espérant recevoir très vite une réponse de la magistrature française. Entre-temps, on est quand même venus ici pour connaître le comité, le remercier pour le travail qui est fait, et qui a commencé très rapidement, quelques heures après l’arrestation de Vincenzo, et pour établir des rapports et poursuivre le travail de soutien et de solidarité ensemble.

Mattia

5) On sait maintenant que le deuxième mandat d’arrêt européen concerne Milan, la manifestation du 11 mars 2006 à Milan. C’est une contre-manifestation qui s’était organisée rapidement pour contrer un défilé néo-fasciste qui se tenait à Milan ce jour-là et qui avait eu l’autorisation de manifester.

[07:12] Il y avait beaucoup de monde sur la place où devait défiler ce cortège. Il y a eu de grosses charges de police, qui ont duré tout l’après-midi. Ils avaient créé un filet, ce qu’on appelle la « nasse » en français. Ça leur a permis d’arrêter quarante personnes le jour même, pendant la manifestation. Vincenzo en faisait partie. Je me souviens qu’ils l’avaient arrêté dans une cour. Après les charges de la police, les gens s’étaient éparpillés dans des cours. Je me souviens que l’un d’eux était entré dans un hôtel. Il avait ôté son casque – il était venu à la manifestation à moto. Il venait à peine d’arriver, et il a pris une chambre d’hôtel pour s’y cacher parce que la police fouillait partout, même dans les trams. Avec une dizaine de personnes, Vincenzo a été arrêté dans une cour et emmené en prison. 

Mattia

9)  (En ce qui concerne le 11 mars,) il faut ajouter que Vincenzo, comme tous les autres, n’ont jamais été identifiés comme faisant quelque chose à l’intérieur du cortège. Leur condamnation est uniquement due à leur présence à cette manifestation où il y a eu des affrontements avec la police. A la différence du cas de Gênes, qui est plus complexe, à Milan, rien n’a été filmé. Vincenzo et les autres ont simplement été arrêtés sur place, dans une cour. Et on a donc supposé qu’il avait participé à la manifestation. Et c’est sur cette seule base qu’il y a eu condamnation, pas pour des agissements spécifiques survenus à l’intérieur du cortège. On peut aussi souligner que le délit de dévastation et saccage, comme vous l’avez déjà bien dit, est un délit qui a été créé sous le fascisme. Mais il n’avait jamais été appliqué après la guerre pour des questions politiques, jusqu’aux faits dont nous parlons. C’est donc depuis les années 2000 que la magistrature utilise ce délit pour frapper les manifestations politiques. Elle a récupéré ce vieux code pour frapper plus durement les manifestations de rue. Ce délit n’avait jamais été utilisé pendant les années 70 et 80 qui, comme on le sait, ont été des années de conflit en Italie, avec des manifestations énormes – ce délit n’avait jamais été utilisé. C’est quelque chose qui revient dans les années 2000. Le précédent a donc été créé à Milan, puis à Gênes.

 Reprise de l’autre extrait mattia (suite de 5)…Sur les quarante personnes arrêtées, une vingtaine sont sorties. Les vingt autres ont été poursuivis. Ils ont fait au moins sept mois de prison. Ils ont ensuite été condamnés à quatre ans et quelques mois. Après la détention, Vincenzo et les autres ont purgé cette peine en étant assignés à résidence pendant quelques mois. Puis il a été libéré dans l’attente du jugement définitif. Après le jugement définitif, il avait un résidu de peine de quelques mois. Il l’a purgée sur un mode alternatif, à résidence avec sa compagne et sa fille, Viola. Pour cette peine résiduelle, il a eu des mesures… il devait rentrer le soir,  avant une certaine heure. Et il avait peut-être aussi dû faire quelques travaux à caractère social – je ne sais plus exactement.  

Mattia

[09:42] La peine a donc été réduite pour tout le monde parce que, plus tard, à cette époque, une grâce a été accordée, une sorte de petite amnistie qui concernait les peines de moins de trois ans, et tous ceux qui avaient été arrêtés et condamnés pour cette journée-là avaient pu en bénéficier. Il faut ajouter, par rapport au procès du 11 mars, que ça a été un procès difficile parce que les personnes arrêtées étaient très nombreuses, très différentes les unes des autres. Et certaines d’entre elles ont tout de suite mal supporté l’incarcération et voulaient sortir le plus vite possible. Ça a poussé les avocats à choisir une procédure qu’on appelle procédure sommaire en Italie, qui accélère le procès et rend plus proche la possibilité de sortir de prison. Mais, dans le même temps, ça limite la défense. Et ces limites de la défense, ça a été déterminant parce qu’il est vrai que les condamnations dans ce procès ont été limitées parce que le choix de cette procédure permet une réduction de la peine d’un tiers, mais ces limites de la défense ont fait que l’accusation de dévastation et saccage a pu passer. Et en réalité, la condamnation pour dévastation et saccage du 11 mars précède la condamnation en première instance pour Gênes et a donc constitué en Italie un précédent. C’est-à-dire que la première condamnation qui a eu lieu en Italie pour dévastation et saccage dans des manifestations politiques est celle du 11 mars, même si les faits de Gênes étaient antérieurs. Quand ils sont arrivés à la phase conclusive de la première instance du procès de Gênes, ce précédent existait déjà. Mais ce précédent a aussi dérivé, disons, de ce procès difficile, dont la défense était limitée. Si c’est intéressant, je peux ajouter que Vincenzo n’était pas d’accord avec le genre de procédure choisie, mais il n’a pas voulu se différencier des autres. Il a voulu une défense collective, et il a donc aussi accepté une procédure sommaire. 

Mattia

7) Le fait que cette accusation de dévastation et saccage ait pu passer a ensuite été déterminant pour la lourdeur des peines de Gênes parce que, pour certains, et particulièrement pour Vincenzo et Marina, ça a fait qu’ils ont écopé de deux condamnations pour dévastation et saccage en l’espace de cinq ans puisque qu’on est entre 2001 et 2006. Et ça a permis, disons, à la magistrature d’utiliser la récidive pour augmenter les peines. Je ne sais pas comment le dire autrement.

Mattia

8) [12:45] Oui, Marina comme Vincenzo ont eu cette malchance. Ils ont eu une condamnation de trois, cinq ans. Celle de Milan et celle de Gênes ont été de cinq ans de plus. Il y a donc eu récidive de dévastation et saccage pour eux, et ça a contribué à augmenter les peines.

Viviana

3)Les manifestations du G8 à Gênes ont eu lieu en juillet 2001, les 19, 20 et 21. Dès le début des manifestations, il y a eu des arrestations. Sans doute plus de cent personnes ont été arrêtées. Vincenzo n’en faisait pas partie.

[02:23] Vincenzo a été arrêté… l’endroit où il habitait alors a été perquisitionné et il a ensuite été arrêté quelques mois plus tard. Après, il a fait un peu de prison en Italie, un peu d’assignation à résidence aussi

 Giuseppe

 (Pour ce qui est de Gênes,) Vincenzo a été arrêté quelques mois après. Il avait été identifié et on l’a incarcéré à Gênes. Suite à une demande d’assignation à domicile, on lui a désigné ma maison comme demeure, dans la province de Bergame. Il a fait deux ou trois mois de peine alternative chez moi, puis il a été travailleur social dans une coopérative aux environs de Bergame.

 (Retour suite viviana)Et il a attendu ensuite le déroulement du procès, qui a duré onze ans. La procédure s’est conclue, cassation comprise, en 2012. La sentence de première instance date de décembre 2007. Et, sur toutes les arrestations qu’il y avait eu pendant les manifestations et après, vingt-cinq manifestants ont ensuite été poursuivis en justice pour totaliser à eux tous cent dix ans de prison. Seuls dix d’entre eux étaient accusés de « dévastation et saccage », dont Vincenzo – avec d’autres, bien sûr. En deuxième instance, on est en octobre 2009. Quinze des vingt-cinq manifestants ont été acquittés et il en est resté dix. Les peines ont été à peine réduites et donc dix manifestants ont écopé d’une centaine d’années de prison environ. Vincenzo en faisait partie. En juillet 2012, au dernier stade du procès, parce qu’il y a eu recours en Cassation, la sentence de la cassation est tombée. Sur les dix manifestants, cinq ont été immédiatement condamnés dans la mesure où la Cassation n’avait pas de doute, et Vincenzo en faisait partie. Il a finalement écopé d’une peine d’environ treize ans et demi, réduite d’environ neuf mois parce que la Cassation a estimé que la détention d’armes n’était pas plausible. D’autres condamnés ont aussi bénéficié de cette réduction de peine. (Cinq de ces dix accusés ont par contre été renvoyés en appel parce que la cour de Cassation n’arrivait pas à déterminer s’ils étaient des meneurs d’émeute ou pas. Entre-temps, le procès ultérieur s’est terminé. Ils ont donc été renvoyés en cassation et ils ont tous été condamnés)

!. Luca Finotti est le seul à être détenu à l’heure actuelle, dans la prison de Vigevano. Il avait été condamné à dix ans. Il est en prison en ce moment. 

Mattia

Comme Vincenzo, Luca a été reconnu a posteriori grâce aux vidéos prises.

Viviana

4)Luca Finotti est actuellement détenu dans la prison de Vigevano. Lui, comme Vincenzo, a été identifié par des films et vidéos qui avaient été faits par la presse pendant les trois jours de manifestation à Gênes.

10 , 11, 12

Mattia

10)Au-delà de l’accusation de dévastation et saccage, un élément essentiel est intervenu dans le procès, comme on l’a déjà dit, c’est la complicité morale. C’est une formule très ambiguë du code italien qui veut que si tu participes à une manifestation et que des actes illégaux se déroulent autour de toi, d’une certaine manière, si tu es à proximité et que tu ne fais rien pour y mettre fin ou si tu ne quittes pas la manifestation, tu peux être accusé des mêmes actes. Par exemple, si un journaliste est en train de filmer et que quelqu’un s’en prend à sa caméra, si tu vois ce qui se passe sans intervenir, tu peux être accusé d’avoir endommagé cette caméra. Si, comme c’est arrivé à Gênes, un supermarché se fait dévaliser et que tu es à côté, si tu n’interviens pas ou si tu ne quittes pas la manifestation, tu peux être accusé d’avoir saccagé ce supermarché. C’est arrivé dans des manifestations plus petites qu’on ait condamné des gens au nom de la complicité morale parce qu’ils tenaient une banderole et que, derrière eux, certains écrivaient sur le mur. La police en a déduit que la banderole servait à couvrir le graffiti et ceux qui la tenaient étaient donc aussi responsables de ce graffiti. C’est un mécanisme très ambigu qui peut vraiment être utilisé pour étendre la responsabilité de ce qui se passe à tous ceux qui sont présents. De cette façon, il suffit d’être là pour être condamné. Ça a été un élément clé dans le procès pour permettre la condamnation des accusés. 

11) Mattia

En préambule, il faut préciser que depuis Gênes, dix-huit ans sont passés. Le procès a duré dix ans. Et les procès de Milan ont été différents. C’est pour ça qu’il est même difficile pour nous de reconstituer tout dans le détail. C’est ce qu’on va faire dans les prochaines jours, semaines, avec les avocats, qui ont tous les actes à leur disposition. Ce que nous, on peut dire pour l’instant, reste assez vague. Mais ce dont on est sûr, c’est que la condamnation pour Gênes, les treize ans de Vincenzo, par exemple, comprend la peine la plus haute – pour dévastation et saccage – et des peines mineures qui ont été ajoutées. C’est comme ça que la justice italienne fonctionne. Il nous reste à reconstituer chacune des affaires. Ce dont on est sûr, c’est que la notion de complicité morale a été fondamentale dans ces affaires. Aucun acte spécifique et direct n’a été attribué. On vérifiera, je sais pas quoi dire de plus.

11 bis) Mattia

Le procès a duré très longtemps, plus de dix ans. C’est difficile d’évaluer les raisons d’une telle longueur, mais on y est aussi habitués en Italie. Ce dont on est sûr, c’est que ça a eu un effet sur la solidarité parce que les condamnations sont arrivées dix ans après les faits. Comme on l’a dit avant, beaucoup de gens qui étaient venus à Gênes n’étaient même plus dans le mouvement, et il y avait des jeunes qui ne savaient plus rien de ces journées-là. La vie même des condamnés avait changé entre-temps. Et ça nous a aussi rendus plus faibles en termes de solidarité au moment où les condamnations sont tombées. Même si la solidarité n’a pas fait défaut pendant les années qui ont précédé ces condamnations. Ces années ont été riches d’initiatives…

11 ter)Viviana

Riches en débats, en concerts, en levées de fonds et en réflexions. Il y a eu tellement de réflexions. Mais bien sûr, au fur et à mesure que le temps passe, il peut arriver des changements quant à la façon de penser, etc. En fait, bientôt, on fera certainement des points ultérieurs sur la situation, d’où pourraient émerger de nouvelles réflexions sur ce qu’a été Gênes, sur la répression, sur ce que ça nous a laissé, etc.

12)mattia

Ce que je peux dire, c’est que Gênes a été certainement un grand tournant pour l’Italie. Je ne sais pas si ça a eu le même genre d’effet en Europe, mais ça a été un grand tournant. Souvenez-vous que Gênes a plus ou moins été le dernier des contre-sommets à une époque où il y avait eu des contre-sommets un peu partout dans le monde – à Seattle et ailleurs ensuite. Le massacre de Gênes… en fait, ça a été une vraie boucherie. Les coups de la police, aussi bien dans la rue qu’à l’école Diaz puis à la caserne de Bolzaneto… des personnes arrêtées ce jour-là et obligées de passer des heures les jambes écartées face au mur pendant que les surveillants pénitentiaires chantaient « Facetta nera ». Ces journées ont laissé une marque indélébile chez les manifestants et pour…  La génération qui a suivi Gênes n’est pas descendue dans la rue pendant presque dix ans, par peur. Le traumatisme de ces journées a vraiment laissé une marque. Et n’oublions pas qu’ensuite, quelques mois après Gênes, qui a eu lieu en juillet, c’est le 11 septembre 2001. C’est donc le début de la période terrorisme, alerte au terrorisme. Là aussi, ça a eu de lourdes répercussions sur le code italien. Les premières années 2000 en Italie, du point de vue des mouvements sociaux, ont été des années de désert, de rues désertes, de peur diffuse. Alors, dans les réflexions qui ont suivi Gênes, on s’est dit que Gênes était un gros piège et que leur objectif était de faire peur pour mettre fin à ce mouvement. On dit chez nous qu’il y a un avant et un après Gênes, pour ces raisons-là. 

12) Mattia

On peut peut-être ajouter que Vincenzo n’a pas eu de chance. La répression qui l’a frappé a été vraiment lourde, énorme. Il y a peu de cas de ce genre en Italie, pour un pays qui subit une énorme répression depuis plusieurs décennies. Pourtant, cette affaire – l’affaire de Gênes –, pas seulement celle de Vincenzo, mais celle de Marina et de tous les autres, est vraiment significative. Malgré ça, Vincenzo ne s’est jamais lamenté plus que ça. Il n’a jamais posé en victime. Il a toujours gardé la tête haute et a toujours revendiqué fièrement ce qu’il est, ce qu’il a fait, sans à se cacher. Parfois plus que nécessaire, et c’est peut-être aussi pour ça qu’il a été traqué. C’est peut-être aussi ce qu’on veut lui faire payer.