Compte-rendu audience CJUE – 20 Janvier 2022

selon les notes prises au cours de cette audience

CRUEL DILEMME

Après le renvoi par la Cour de Cassation française, pour l’interprétation de textes européens cadrant le MAE, l’étape de plaidoirie devant la CJUE qui siège à Luxembourg vient d’être franchie lors de l’audience du 20 janvier 2022 à 9 heures.

Neuf membres du comité de soutien ont assisté à l’audience.

Cinq juges composaient la juridiction, appelée à statuer sur l’affaire de Vincenzo Vecchi. La présidente est de nationalité lettone, on ne connaît pas la nationalité des autres magistrats. La décision sera rendue par la CJUE dans 3 ou 4 mois, soit en mai ou juin 2022. Auparavant, un délai a été fixé au 31 mars 2022, pour le dépôt du mémoire du Procureur Général. Dans la procédure devant cette juridiction il n’existe pas à ce stade de possibilité de répondre à ce mémoire.

Si une durée de 15 minutes environ avait été donnée à chaque partie pour intervenir à cette audience orale, c’est-à-dire aux parties présentes : avocats de la défense de Vincenzo, représentant du gouvernement français, représentant de l’UE, l’audience s’est de fait prolongée sur 2 h30 au gré des questions posées par la Présidente.

L’Italie ne s’est pas fait représentée et n’a pas soutenue oralement sa demande de remise de Vincenzo Vecchi. Elle s’en tient à ses seules observations écrites.

Me Mathonnet, est intervenu en premier pour Vincenzo, en présence de Catherine Glon et de Amedéo Barletta (avocat italien de Vincenzo). Vu la brièveté du temps imparti, Me Mathonnet a été le seul à s’exprimer, selon une répartition convenue à l’avance entre les avocats.

Pour rappel, l’audience portait sur les 3 questions concernant la faculté pour la France d’opposer l’absence de correspondance dans son droit, du délit italien de « dévastation et pillage », en interprétation des articles : 2.1 et 4. 2 de la décision cadre de 2002. Articles, selon lesquels, pour que le MAE puisse s’exécuter, il faut que le délit pour lequel la personne a été condamnée soit transposable dans le droit de l’autre État européen où il a été retrouvé. Ces deux articles définissent, pour le premier, le champ d’application de cette notion de double incrimination, pour le second, des cas de refus facultatifs d’exécution du MAE.

Me Mathonnet a soutenu qu’il n’y a pas d’équivalence en droit français au délit de « dévastation et pillage » car il a pour nature de protéger les intérêts d’un État, alors que le délit français de vol avec dégradation, dont il pourrait se rapprocher, ne vise qu’à protéger la propriété privée. Cette différence d’intérêts protégés dans les deux législations empêche toute transposition, si bien que le cas de Vincenzo se trouve au cœur de l’exception à la règle d’automaticité du MAE prévue à ces articles qui exigent que la condition de la double incrimination doit être satisfaite.

Me Mathonnet

1ère question

Me Mathonnet a estimé que la mention de l’article 2.1 « quel que soient les éléments constitutifs ou la qualification de l’infraction » qui vise à surmonter une différence technique des termes juridiques entre les appellations des délits entre pays européens, ne concerne pas notre affaire, car il s’agit dans le cas de Vincenzo, d’une différence de nature des intérêts protégés par les deux législations. Il expose que cette condition de double incrimination préserve la souveraineté d’un État européen, afin que, comme dans le cas présent, un état démocratique ne soit pas contraint d’appliquer une loi d’origine fasciste.

2e question

À la 2e question, sur la base de l’article 2.4, de savoir comment faire en présence de 5 faits punissables sur 7 faits, basant la condamnation initiale par l’Italie, il répond que les 2 faits, non punissables, dans le cadre d’une infraction unique ayant généré une peine unique, empêche la remise, car sinon la personne exécuterait une peine non prévue par la loi, ce qui est contraire au grand principe de la légalité des peines et de nécessité des peines en matière pénale.

3e question

Sur la 3e question, Me Mathonnet a renvoyé à lire son mémoire dans lequel, il exposait que la violation du principe de proportionnalité inscrit à la Charte des Droits Fondamentaux de l’UE ne permet pas la remise, car la peine doit être proportionnée aux faits, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

Le gouvernement français

1ère question

Le Gouvernement Français s’est exprimé, par visioconférence autorisée, pour l’exécution du MAE. Reconnaissant que la situation de Vincenzo Vecchi est spécifique, puisqu’il s’agit d’une peine unique pour une infraction unique caractérisée par l’accomplissement de plusieurs faits, il soutient que selon la formule de l’article 2.1 « quel que soient les éléments constitutifs ou la qualification de l’infraction » une correspondance parfaite n’est pas nécessaire entre les éléments constitutifs des infractions voisines, de chaque État, conformément à l’arrêt Grundza (jurisprudence de la CJUE). Il soutient qu’il peut exister une discordance des éléments constitutifs et d’appréciation des faits entre les deux droits, et que cela n’emporte pas de marge d’appréciation pour l’autorité judiciaire d’exécution (La France). Si bien qu’il considère que la condition de la double incrimination est satisfaite, puisque une partie des faits peut être qualifiée de vol avec dégradation en droit français.

2e question

S’agissant de la 2e question, il estime qu’il suffit qu’une partie des actes ayant basé la condamnation soit aussi punissable dans l’État d’exécution, pour que la condition de la double incrimination soit remplie.

3e question

Sur la 3e question, il considère que dans la procédure du MAE, il n’est pas prévu que l’État d’exécution puisse contrôler le seuil de la peine et se substituer ainsi aux juridictions de l’État d’émission pour apprécier la proportionnalité de la peine.

La commission de l’UE

1ère question

La commission de l’UE s’est exprimée en reconnaissant une concordance imparfaite entre les infractions en cause ( dévastation et pillage et vol avec dégradation), et admet que la condition de la double incrimination n’est que partiellement satisfaite. Elle qualifie la situation de « dilemme ». Dans le but de favoriser l’efficacité du MAE, qui est la règle primordiale en la matière, elle suggère de rechercher une solution d’équilibre par l’autorité judiciaire du pays d’exécution qui doit exercer sa marge d’appréciation sur l’article 4.1.

Elle reconnaît que l’État d’exécution peut retenir un motif facultatif de refus d’exécution, mais seulement dans le cas où comme ici, pour la France, la condition de double incrimination prévue à la décision-cadre a été transposée dans le droit interne. Elle rappelle cependant que cette possibilité doit être appliquée restrictivement tant la règle de principe reste l’exécution prioritaire du MAE.

2e question

En abordant la 2e question, pour trancher la difficulté de savoir si la condition de la double incrimination peut être satisfaite ou pas, elle propose que l’autorité judiciaire française évalue le caractère essentiel ou marginal des 5 faits punissables en droit français, pour accepter ou non, l’exécution du MAE. Elle estime qu’un dialogue entre l’Italie et la France doit pouvoir s’établir pour convenir d’une réduction de peine en fonction du caractère plus ou moins primordial des faits punissables dans les deux états. Elle suggère même que l’Italie émette un nouveau MAE uniquement sur les faits punissables en proposant une peine réduite !

Elle ne méconnaît pas, toutefois, le fait que la peine unique de 10 ans a été prononcée pour les 7 agissements constituant « dévastation et pillage », ce qui l’amène à parler de « dilemme » pour le cas de Vincenzo, pour savoir si on doit accepter ou pas la remise.

3e question

Sur la 3e question, elle considère que l’État d’exécution n’a pas à appliquer ses propres règles pour l’appréciation de la proportionnalité. À ce stade des débats d’audience, des questions ont été posées par la Présidente, à la représentante de l’union européenne, à Me Mathonnet et au gouvernement français.

La présidente

1ère question de la présidente

Première question de la Présidente : à votre avis pourquoi le législateur a introduit la condition de la double incrimination dans la décision cadre ? Et quelle est la raison d’être de cette condition de la double incrimination dans un outil de reconnaissance mutuelle entre états en matière pénale ?

La commission de l’UE

La commission de l’UE répond : il s’agit d’une survivance de l’ancienne procédure d’extradition, permettant aux États de rester en conformité avec leurs valeurs, et qui constitue une exception à la grande avancée que constitue l’outil juridique du MAE.

Me Mathonnet

Me Mathonnet expose que la condition de la double incrimination n’est pas un frein au principe de reconnaissance mutuelle, mais au contraire un moyen de coopérer entre systèmes juridiques nationaux qui peuvent être différents, et son maintien permet à l’État d’exécution de respecter le principe de légalité des peines et de nécessité des peines. C’est une volonté politique des États, car c’est un canal de confiance mutuelle pour respecter la diversité des traditions juridiques des États. Et cette condition apparaît donc dans deux articles sur le champ d’application : 2.1, et sur le refus facultatif : 4.2.

2e question de la présidente

Deuxième question de la Présidente à la Commission de l’UE : pouvez-vous préciser votre solution qui consisterait, en cas de non incrimination de faits essentiels du MAE dans le pays d’exécution à permettre à l’État d’émission de lancer un nouveau MAE juste pour les faits punissables en vue de réduire la peine en fonction de ces seuls faits ? Et comment un tel mécanisme pourrait-il fonctionner et pourrait être conforme aux objectifs du MAE ? Les faits essentiels doivent-ils être compris par rapport à l’État d’émission ou par rapport à l’État d’exécution ?

La commission de l’UE

Réponse de la Commission de l’UE : L’évaluation du caractère essentiel des faits revient à l’autorité judiciaire d’exécution sur la base des faits décrits dans le formulaire du MAE. C’est elle qui doit rechercher dans son droit national à quelle infraction correspond les faits si ils s’étaient produits sur son territoire. C’est à l’autorité judiciaire d’exécution de résoudre le dilemme sur la gravité des faits non punissables, et ceux qui le sont, en fonction de leur degré de gravité.

La Présidente : mais ce n’est pas si facile quand il y a déjà un jugement qui fixe les faits et la peine ?

Réponse de la Commission de l’UE : Je préconise que les États essaient de trouver un équilibre entre l’exécution du MAE et cette condition de la double incrimination. C’est au juge, en France, de résoudre ces difficultés avec en ligne de mire que le premier résultat à atteindre est l’exécution du MAE. Elle estime qu’il faut que le fait non punissable soit marginal pour que la condition de la double incrimination ne puisse pas être satisfaite.

3e question de la présidente

Troisième question de la Présidente : au Gouvernement Français.
Comment concilier vous votre argument selon lequel aucun contrôle de la proportionnalité de la peine par le juge de l’État d’exécution avec la jurisprudence de la CJUE qui reconnaît, au contraire, une marge d’appréciation à cette autorité judiciaire et y voit un motif de refus facultatif en fonction des circonstances propres à chaque affaire ?

Gouvernement français

Réponse du gouvernement Français : je précise qu’une loi récente du 22 décembre 2021 a mis le droit français en conformité avec la jurisprudence de la CJUE. Dans le cas de Monsieur Vecchi, on estime que le juge français, n’a pas de marge d’appréciation, car les conditions pour qu’il y ait contrôle de la double incrimination ne sont pas remplies. Pour nous, les éléments constitutifs concernent aussi les faits et leur appréciation, selon l’incise de l’article 2.1 « quel que soient les éléments constitutifs ou la qualification de l’infraction » et sont punissables, autant en Italie qu’en France.

Procureur général

Parole au Procureur Général pour ses questions : il relève que dans les articles 2.1 et 4. 2 de la décision cadre, on ne parle pas de la notion d’intérêt social protégé. Le législateur européen n’a pas inséré de telle notion. Il soutient que la destruction d’un établissement privé et l’incendie d’une voiture sont punissables dans les deux pays, et dénie de distinguer un fait marginal au sens de l’intervention de la Commission de l’UE. Il insiste sur le fait que le droit pénal est un droit public qui suppose, par essence, qu’il y a une violation de la paix publique dans toute infraction, et que ce n’est donc pas un élément qui doit déterminer si la condition de la double incrimination est satisfaite.

Me Mathonnet

Réponse de Me Mathonnet : les articles 2.1 et 4. 2 évoquent les faits, et l’article 2 la qualification de ces faits. L’État d’exécution doit fixer le périmètre des faits selon cet article, dans le cadre de l’infraction visée par l’État d’émission. Or, l’intérêt protégé est un élément constitutif qui traduit le principe de la nécessité des peines. En l’occurrence, dans le délit de « dévastation et pillage » l’intérêt protégé est celui de l’État, relatif à des faits d’émeute, c’est-à-dire à l’anéantissement de la paix sociale. On est obligé de prendre en compte cet intérêt protégé différent de celui qui protège juste la propriété privée des citoyens. Pourquoi ? parce que cette disparition de la paix sociale a déterminé la décision du juge italien et la peine.

Sur la 2e et 3e question, il précise que l’ordre public est toujours sous-jacent des infractions, mais qu’il ne s’agit pas de cet « ordre public » classique dans le délit de « dévastation et pillage » mais de l’intérêt de l’État comme structure sociale. Il rappelle que dans l’affaire de Vincenzo, le juge français comprend les deux faits non punissables comme amenant l’obligation pour la personne recherchée d’exécuter une peine qui n’est pas prévue par la loi, ce qui est une violation du principe de légalité des peines.

Commission de l’UE

Réplique de la Commission de l’UE : sur la 1ère question, elle ne reconnaît pas de pertinence à la notion d’intérêt protégé dans l’analyse de la double incrimination. Elle précise pour la 2e question qu’il ne s’agit pas de refaire le procès italien, mais de se baser sur la description des circonstances de la commission de l’infraction dans le formulaire MAE. Elle reconnaît qu’il n’y a pas de participation de Vincenzo Vecchi à l’endommagement d’un institut de crédit et de l’incendie d’un véhicule et que ces 2 faits sont manquants.

Dernières observations des parties

Me Mathonnet

Me Mathonnet rappelle les objectifs du MAE comme instrument de coopération efficace, mais dans le cadre de la construction d’un espace de liberté, de justice, qui oblige à trouver un équilibre entre la répression exercée par l’État, et l’état de droit incarné par le principe de légalité des peines.

Gouvernement français

Le gouvernement Français estime que la défense de Vincenzo fournit une analyse artificielle des textes. Il considère que le juge français doit se limiter à vérifier si les faits sont susceptibles d’être qualifiés pénalement en fonction de son droit interne, sans s’autoriser à apprécier le droit de l’Italie. Il insiste sur le fait que la proportionnalité de la peine n’est pas un motif de refus prévu par la décision-cadre.

Commission de l’UE

La Commission de l’UE estime qu’il est dans les attributions de la Cour de cassation française de vérifier la double incrimination conformément aux textes. Le Procureur Général informe du dépôt de ses explications le 31 mars 2022.

Commentaires des avocats à la sortie de l’audience : bilan

Tous les aspects juridiques du dossier ont été abordés grâce aux questions. Le point positif est d’avoir réussi à susciter des questionnements de la CJUE, qu’il semble que l’affaire paraissait un cas spécifique. Seules les deux premières questions ont finalement occupées les débats. La 3e question a été traitée dans le mémoire, et est finalement contenue dans la deuxième. Il faut prévoir que les observations du Procureur Général ne soient pas favorables, mais il ne semblait pas maîtriser en profondeur les termes du débat, et on n’est pas inquiets. La position de la Commission de l’UE laisse une ouverture en concluant à une marge d’appréciation du juge français.

On sait que l’on ne peut pas se fier à l’impression d’audience.

Après cette audience, nous n’avons plus à intervenir. Après le 31 mars la décision sera prise après discussion (délibéré) entre les 5 juges. Elle devrait être rendue en mai ou juin 2022.

Dès après, la Cour de Cassation française reprendra le dossier et rendra elle-même son arrêt. Il faut prévoir plutôt la fin du dernier trimestre 2022 pour être fixé, mais cela peut aussi aller plus vite (août 2022).

Aucun pronostic ne peut être raisonnablement fait à ce stade, tant on ignore la position des 4 autres juges, si tant est que l’on ait pu s’imaginer la tendance de la Présidente au travers des questions posées.

La Cour de Cassation peut choisir de rendre son arrêt définitif sans renvoi à une chambre d’instruction, ou de renvoyer, de nouveau, à une autre Cour d’Appel, cela dépend pour beaucoup des réponses de la CJUE aux questions d’interprétation qui ont été posées.

Dans le cas où elle rendrait son arrêt, l’affaire reviendrait de toute façon après, devant la Cour d’Appel d’Angers, pour la demande faite par cette juridiction à l’Italie de permettre à Vincenzo d’exécuter en France le reliquat de ses peines accessoires.

Voir aussi

Note d’informations
Synthèse des mémoires à la CJUE du 20 janvier 2022