Compte rendu analytique sur l’audience de la Cour de Cassation du 15 décembre 2020

L’audience débute par une synthèse du rapport de la Juge Rapporteur de la Cour de Cassation, puis par celle de l’Avocat Général de cette même cour et pour finir par celle de notre avocat Maitre Mathonnet.

1- La présentation de la Juge Rapporteur de la Cour de Cassation

Les principaux éléments qui doivent être retenus de la présentation de la Juge Rapporteur qui couvre  – les jugements italiens, le jugement d’Angers, le rapport du procureur d’Angers et la plaidoirie de maître Mathonnet – sont les suivants :

Vis-à-vis du mémoire du procureur d’Angers, la Juge Rapporteur rejette l’intégralité de son argumentation : transformation du délit de « Dévastation et pillage » en « vols organisés ou avec armes » qui permet de re-qualifier les délits évoqués dans une des 32 catégories hors double incrimination du Mandat d’Arrêt Européen, la réunion du Prato Verde comme caractérisation du délit de bande organisée, la reclassification en « incendie volontaire » de l’incendie du véhicule Fiat qui est englobé dans la qualification « Dévastation et pillage», ainsi que l’illégitimité du rejet de la démarche du jugement d’Angers à propos de la double incrimination.

Vis-à-vis du formulaire de Mandat d’Arrêt Européen, la Juge Rapporteur dit que c’est à l’autorité judiciaire d’émission qu’il appartient de décider si l’infraction appartient à l’une des 32 catégories pour lesquelles le contrôle de la double incrimination ne s’applique pas et qu’en conséquence la Cour de Cassation doit se demander quelles conséquences tirer de l’absence de case cochée sur le formulaire du Mandat d’Arrêt Européen, le tribunal d’Angers évoquant que le fait de ne pas cocher les dites cases et de retenir le délit de « Dévastation et pillage » permettait d’alourdir la peine…  

Vis-à-vis de la double incrimination dans le cadre du délit de « Dévastation et pillage », la juge rapporteur estime légitime le choix du tribunal d’Angers de rechercher dans le cadre de la double incrimination si un des 7 délits contenus dans « Dévastation et pillage» est susceptible d’être pénalement sanctionné en droit Français.

Pour le tribunal d’Angers, comme deux des délits englobés dans « Dévastation et pillage » n’existent pas dans le droit pénal français et qu’il est impossible de différencier les peines et leur quantum dans le délit de « Dévastation et pillage » qui forme un ensemble indissociable, ceci impose de refuser l’exécution du Mandat d’Arrêt Européen à hauteur de dix années d’emprisonnement.

A cela s’ajoute, après l’introduction d’un débat par la Juge Rapporteur sur les notions de complicité et de proximité, le rejet de la notion de « concours moral ».

Mais ce jugement d’Angers et la logique qui est mise en œuvre, interrogent la Cour de Cassation sur deux points centraux : la remise (à l’Italie) en cas d’absence de double incrimination sur une partie des faits ? et sur quel quantum de peine doit porter cette remise ?  

En dernier lieu, la Juge Rapporteur, si elle rejette les moyens du pourvoi en cassation de Vincenzo Vecchi, estime que c’est à tort que le tribunal d’Angers n’a pas pris en compte la question des conditions indignes de détention en Italie.

Globalement après le jugement d’Angers qui reconnaissait le bien-fondé de la démarche du Comité et de nos avocats (après celui de Rennes), la caractéristique nouvelle qui émerge de la présentation de la Juge Rapporteur de la Cour de Cassation du 15 décembre, est que cette dernière cherche à traiter les sujets (contrairement à la précédente cassation) et qu’elle légitime la « rationnalité » de la démarche du tribunal d’Angers sur la double incrimination tout en rejetant les arguments du procureur d’Angers.

En cela, on voit que les arguments juridiques défendus par le Comité et nos avocats depuis maintenant près de 17 mois nous donnent raison sur les fondements de cette affaire.

Toutefois, si le rapport initial de la Cour de Cassation rejette le délit de «Dévastation et pillage» et la notion de « concours moral » (« en droit français n’est pas responsable pénalement celui qui se borne à encourager la commission d’une infraction, hors de tout acte positif ») dans le même temps, la Juge Rapporteur ne peut que se référer, sans pouvoir le questionner, au récit italien de la déambulation de Vincenzo Vecchi qui pour l’essentiel se contente de suggérer que la seule présence de Vincenzo Vecchi est en soi une preuve de sa culpabilité et ce, sans jamais apporter les preuves matérielles (l’essence même du « concours moral ») ce qui introduit tout de même une sacrée contradiction dans la démarche de la Cour de Cassation !

En dernier lieu, on notera que la Cour de Cassation dans son rapport initial indique qu’elle va rédiger un seul projet d’arrêt, assertion qui doit être prise au sérieux au regard du travail effectué par la Juge Rapporteur, mais aussi du nombre de juges présents à l’audience (12 ou 13). La présence importante du nombre de juges suggère – en cas d’accord – que soit produit de la jurisprudence sur cette situation, puisque tous les éléments nécessaires pour pouvoir se prononcer sont présents.

Toutefois, un élément évoqué (la saisine de la Cour de Justice Européenne à titre préjudiciel) en fin d’un rapport relativement favorable de l’Avocat Général inquiète, bien légitimement.

L’analyse effectuée si dessous qui concerne la présentation de l’Avocat Général de la Cour de Cassation (qui en grande partie suit celle de la Juge Rapporteur) s’attache plus particulièrement à la saisine de la Cour de Justice Européenne et les conséquences qui en découlent ne doivent pas être prises à la légère, même si ce n’est à ce stade, qu’une des possibilités du jugement rendu le 26 janvier 2021  

2-La présentation de l’avocat général et les conséquences d’une demande préjudicielle à la  Cour de Justice Européenne

L’avocat général à la cour de cassation dans sa plaidoirie du 15 décembre 2020 écarte l’existence d’« une bande organisée » et le « vol en bande organisée ». C’étaient les fondements du recours du procureur d’Angers à la décision de la cour d’Angers de refuser l’exécution du Mandat d’Arrêt Européen envers Vincenzo Vecchi.

Dans la même plaidoirie il affirme que c’était à l’Italie de dire si les faits rentraient dans les 32 cas de renvoi automatique.

Or, au cas présent, dans la liste des infractions figurant à la rubrique E du formulaire, les autorités italiennes n’ont coché aucune case, et à juste titre la cour d’Angers a exercé le contrôle de double incrimination.

L’Avocat Général admet que au moins 1 cas de « Dévastation et saccage » n’a pas d’équivalence dans le droit français. Cette absence de réciprocité implique que le principe de proportionnalité de la peine prononcée n’est plus respecté (article 49-3 de la charte des droits fondamentaux de l’UE).

En clair si Vincenzo était renvoyé en Italie il serait obligé de purger une peine reconnue comme disproportionnée par la justice française.

L’avocat général au lieu d’aller jusqu’au bout de son raisonnement et de valider la décision de la cour d’Angers, propose un renvoi à la Cour de Justice Européenne, avec l’argument que l’état exécution doit offrir « à la personne remise aux fins d’exécution des peines, un recours lui permettant d’obtenir la réduction, la conversion ou l’aménagement de sa peine, de manière à tenir compte de ce que la condamnation se trouve privée de son fondement »

En clair est-ce qu’il existe en Italie la possibilité de modifier la peine prononcée, et garantir ainsi que la peine pour le délit non conforme selon le droit français ne soit pas exécutée.

Un tel recours n’existe pas en France, et la France ne peut pas non plus remettre en cause le jugement de l’Italie et décider d’une mesure d’aménagement destiné à réduire dans les faits la peine prononcée.

Un tel recours n’existe pas non plus en Italie, et Maître Mathonnet, l’avocat conseil de Vincenzo, a produit à la Cour de Cassation des attestations d’avocats italiens qui montrent l’impossibilité d’une révision de la peine prononcée.

La Cour de Justice Européenne va se retrouver dans la même impasse que la cour de cassation, elle ne pourra pas changer ou modifier la peine prononcée par l’Italie.

Cette proposition de l’Avocat Général de recourir à la Cour de Justice de l’Union Européenne ne sert qu’à constater l’impasse, qu’à confirmer que ce cas n’était pas prévu par la loi cadre qui régit l’application du Mandat d’Arrêt Européen ou… à gagner du temps.

Comme l’a si bien dit Eric Vuillard dans l’article paru dans l’Obs du 10 décembre 2020 :

La différence entre M. Vecchi et le procureur qui se pourvoit en cassation, c’est que le procureur a tout son temps. On le sait bien, à force de jouer sur les voies de recours, le procureur peut espérer la décision qu’il souhaite. M. Vecchi pourrait bien obtenir raison trois fois, quatre fois même, le procureur peut inlassablement continuer. Il n’éprouve pas de fatigue, lui, pas d’inquiétude, pas de crainte. Il n’a pas à dépenser d’argent pour se défendre, il n’a pas à s’occuper de la paperasse, on le fait pour lui. L’affaire peut durer. Il peut jouer sa chance deux fois, trois fois, il finira bien par gagner. Il y a là un détournement de la procédure, un usage autoritaire, mécanique, qui a de quoi troubler. On trouve dans cet automatisme du parquet, dans cette culture de la répression, une trace évidente de l’origine inquisitoriale de la fonction, cela devrait nous inspirer quelque méfiance.

Or déjà deux cours d’appel (Rennes et Angers) ont successivement, sur la procédure et sur le fond, refusé la remise de Vincenzo à l’Italie. Désormais même l’Avocat Général de la Cour de Cassation admet « la non proportionnalité de la peine » et conforte la décision de la cour d’Angers.

En clair d’un point de vue juridique la défense de Vincenzo a raison et ce Mandat d’Arrêt Européen n’est pas valable. Les juges de la cour de cassation ont tous les éléments pour pouvoir se prononcer et prendre une décision… pourquoi dans ce cas recourir à la Cour de Justice européenne ?

Est-ce que Vincenzo doit rester encore des mois, voire des années, dans ces « temps suspendus » qui l’empêchent de voir tout futur ?

Est-ce que Vincenzo doit rester encore un « temps indéfini » avec cette épée de Damoclès d’une lourde et délirante condamnation pour avoir participé à une manifestation contre le G8 à Gênes le 20 juillet 2001 ?!!

Est-ce que le comité de soutien, depuis un an et demi sur la brèche, pourra continuer à se mobiliser avec des « temps indéfinis et incertains », face à un acharnement bien réel ?