CJUE 20 janvier 2022 Plaidoirie Mathonnet

Affaire C-168/21
Audience du 20 janvier 2022
Plaidoirie de Paul MATHONNET, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, dans l’intérêt de monsieur Vincenzo VECCHI

Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres de la Cour,

Je souhaite présenter des observations pour le compte de monsieur Vecchi à l’aune des questions que vous avez communiquées en vue de l’audience. Et de ce fait, j’aborderai successivement les deux premières questions préjudicielles, en renvoyant à nos écritures pour ce qui concerne la troisième.

I  –  S’agissant d’abord de la première question préjudicielle. Elle porte, en substance – et pour simplifier – , sur le point de savoir si la condition de double incrimination est satisfaite alors même qu’un élément constitutif de l’infraction de l’État d’émission ne se retrouve pas au sein de l’infraction de l’État d’exécution.

Dans nos écritures, nous proposons de répondre par la négative, ceci sur le terrain de l’article 2.4 de la décision-cadre, nonobstant la présence, au sein de cet article 2.4, de l’incise selon laquelle les faits doivent constituer une infraction « quels que soient les éléments constitutifs ou la qualification de celle-ci »

Nous estimons en effet que, même avec l’interprétation qu’en a donnée votre décision Grundza du 11 janvier 2017, cette incise n’interdit pas de tenir compte d’une différence entre les éléments constitutifs lorsque cette différence porte sur la nature même de l’intérêt protégé, ce qui est le cas ici.

Pour mémoire, le délit de vol avec dégradation qui a été retenu en droit français protège le droit au respect des biens et ne comprend pas l’atteinte à l’ordre et la paix publics qui est l’intérêt protégé par l’infraction de dévastation et pillage sur le fondement de laquelle monsieur Vecchi a été condamné.

Les objections opposées par la Commission et les Etats intervenant nous conduiront à revenir sur la portée de cette incise et de votre décision Grundza (A).

Et la question que vous avez posée sur le même sujet nous conduira  également à revenir sur le champ d’application de cette incise et de cette jurisprudence (B).

A –         En ce qui concerne d’abord la portée, la Commission soutient qu’il s’évince de l’arrêt Grundza que les faits doivent seulement être punissables dans l’État d’exécution, peu important la qualification et ses différences avec celle de l’État d’émission. Une divergence entre éléments constitutifs ne pourrait jamais avoir d’incidence.

Ceci nous semble inexact.

D’abord, l’infraction du droit de l’État d’émission est toujours présente dans l’opération intellectuelle au terme de laquelle il convient d’examiner si les faits auraient été passibles d’une sanction pénale s’ils s’étaient produits sur le territoire de l’État d’exécution. C’est en effet cette infraction de l’État d’émission qui fixe le périmètre des faits qui sont ainsi « relocalisés ».

C’est d’ailleurs à ce titre que vous avez précisé que l’autorité nationale d’exécution doit rechercher si les faits auraient porté atteinte à un intérêt protégé prévu par la législation de l’État d’exécution qui serait « semblable » à l’intérêt protégé par l’État d’émission. C’est le paragraphe 49 de votre décision.

Ensuite, vous avez seulement admis une « flexibilité » dans la mise en œuvre de l’exigence d’équivalence entre les infractions, sans faire disparaître cette dernière exigence puisqu’il est encore question d’une « correspondance », même imparfaite.

Dès lors, si l’État d’exécution peut sélectionner, au sein du périmètre précité, certains faits seulement pour les qualifier ensuite au regard de sa loi nationale, c’est à la condition que les faits laissés de côté ne traduisent pas une différence essentielle avec l’infraction de l’Etat d’émission.

2 –

Or, selon nous – et c’est cette fois la République française qui conteste ce point – une différence qui tient à la nature de l’intérêt protégé est une différence pertinente.

a)

Rappelons que cette pertinence tient d’abord au lien direct et étroit entre le critère de l’intérêt protégé et la finalité de l’article 2 de la décision-cadre, lien que nous avons démontré dans nos écritures et qui fait que l’intérêt protégé n’est pas un élément constitutif comme un autre.

Cette pertinence résulte en outre de l’objet limité de l’incise litigieuse, qui est seulement de surmonter les différences de techniques juridiques dans un domaine qui ne donne pas lieu à un rapprochement des législations nationales.

Or, une différence sur la nature de l’intérêt protégé ne tient pas seulement à la technique juridique. Elle traduit plus profondément le choix qu’a fait l’État concerné, en fonction de son histoire ou de sa culture, de punir ou non un comportement.

Le délit de dévastation et pillage en est l’illustration par excellence puisqu’il s’agit d’une législation adoptée sous le régime fasciste, que l’Italie, pour des raisons qui sont propres à son histoire, n’a pas abrogée. Cette infraction est un vestige d’une époque révolue qui garde pour stigmates la sacralisation des intérêts de l’État et, corrélativement, une sévérité extrême des peines encourues ainsi qu’un principe de responsabilité collective qui ne se retrouvent pas en droit français.

L’absence d’incrimination en France d’un comportement équivalent découle du choix de ne plus sacraliser de la sorte les intérêts de l’État.

b)

A l’aune de ceci, vous rejetterez les deux principales objections soulevées par la France.

Première objection : il n’y aurait pas de différence pertinente dès lors que les infractions auraient ici un intérêt protégé commun – la protection de la propriété. Mais l’appréciation de ce qui est le principal intérêt protégé par l’infraction doit, nous semble-t-il être laissée aux autorités nationales. De sorte que l’objection n’est pas opérante. Au demeurant, il ne fait aucun doute que la propriété, intérêt privé, n’est pas l’intérêt protégé par le délit de dévastation et pillage, lequel protège les intérêts de l’État.

Seconde objection :  la solution porterait atteinte au principe de confiance mutuelle et complexifierait la procédure. Cela étant, il convient d’avoir à l’esprit que c’est sur l’article 2, qui a trait au champ d’application du mandat d’arrêt, qu’est fondée ici l’absence de remise. Cette absence de remise résulte dés lors des seules limites de la décision cadre, et non d’un refus de reconnaître une décision de l’État d’émission. Plus précisément, l’absence de remise n’est que la conséquence des limites que l’État d’exécution a assignées à son propre droit pénal. Elle n’est donc le fruit, ni d’une défaillance du mécanisme, ni d’un manque de confiance mutuelle.

Et la mise en œuvre de la solution n’est pas plus complexe que la mise en œuvre de certains des motifs de refus prévus par la décision-cadre.

3 –

A ce stade donc, vous pourrez déjà répondre par la négative à la première question préjudicielle.

Reste encore la question du champ d’application de cette incise, qui offre une autre solution, subsidiaire à la première.

B –  Ce champ d’application met en effet en lumière une différence entre les articles 2.4 et 4.1 qui tient au fait que seul le premier utilise l’incise litigieuse et restrictive.

1 –

De cette différence entre les deux textes, vous pourriez déduire un contrôle de double incrimination qui serait graduel.

Avec dans un premier temps, sur le fondement de l’article 2.4 et pour s’assurer du respect du champ d’application du mandat d’arrêt européen, un contrôle du seul caractère punissable des faits, Puis, dans un second temps, cette fois dans le cadre du refus facultatif de l’article 4.1 un contrôle de l’équivalence des infractions, au regard des éléments constitutifs des infractions, ce que permet ce texte puisqu’il n’utilise pas l’incise litigieuse.

L’incise litigieuse étant absente, l’approche restrictive de l’arrêt Grundza n’est plus de mise.

2 –

Éventuellement, l’interprétation restrictive qui est de mise en présence d’un motif de refus pourrait là encore vous amener à retenir que seule une correspondance imparfaite est exigée.

Cela étant, une telle solution ne nous parait pas justifiée puisqu’il manquerait à la solution ainsi retenue dans la décision Grundza la justification qui était précisément l’incise litigieuse, et qui est ici absente.

Et pour cette même raison, la différence d’intérêt protégé restera, quoi qu’il en soit, une différence pertinente pour les raisons déjà présentées.

La solution se trouve ainsi à mi-chemin entre la réponse de la Commission à la première question, qui consiste à soutenir que la double incrimination suppose uniquement que les faits soient punissables, et la proposition que présente là encore la Commission en réponse à la deuxième question préjudicielles, qui consiste à laisser au juge une marge de manœuvre et la possibilité de refuser la remise, dans le cadre du motif facultatif de l’article 4.1, lorsque certains des faits ne sont pas punissables et sont essentiels. Il suffit en effet de remplacer les termes « faits non punissables et essentiels », par les termes « faits relevant une différence d’éléments constitutifs essentielle » –  ce qu’est une différence d’intérêts protégés – pour répondre négativement à la première question préjudicielle.

Donc, vous serez amenée à répondre par la négative à la première question posée par la juridiction de renvoi, que ce soit sur le fondement de l’article 2.4, comme nous vous le proposons à titre principal, ou sur celui de l’article 4.1 comme nous vous le proposons à titre subsidiaire.

II – Je serais bien plus rapide pour ce qui concerne la deuxième question, car cette dernière n’est posée qu’à titre subsidiaire

Il est question ici de savoir si la remise peut être accordée alors que certains des faits au regard desquels la condamnation a été prononcée ne sont pas punissables dans le droit de l’État d’exécution.

A –

Il convient de bien avoir à l’esprit que la question se pose sur le terrain de l’article 2.4 qui est relatif au champ d’application du mandat d’arrêt européen, et que l’incise « quels que soient les éléments constitutifs » n’est ici d’aucun secours, car ses termes excluent qu’elle puisse concerner de simples faits. Dès lors, les faits non punissables se situent radicalement hors du champ d’application du mandat d’arrêt européen. 

En outre, en présence de faits non punissable, c’est le fondement ultime de la règle de double incrimination qui est affecté, à savoir le principe de légalité et de nécessité des délits et des peines qui constituent le ciment des traditions juridiques nationales en matière pénale. En effet, une partie de la peine qui serait exécutée n’est prévue par aucun texte du point de vue de l’État d’exécution. Corrélativement, cette peine n’est plus proportionnée aux faits puisque son assiette a été modifiée.

B –        

La seule question est donc de savoir si l’efficacité du mandat d’arrêt européen et l’intérêt de ne pas laisser impunie la partie des faits qui est punissable, constitue une justification suffisante pour autoriser une remise qui aurait lieu en violation de ces principes et de ces limites pour ce qui concerne l’autre partie des faits.

1 –

Nous pensons que l’enjeu en termes d’efficacité n’est pas suffisant pour considérer que la remise doit être systématiquement accordée.

Car, en réalité, la difficulté ne se rencontre que dans des cas en nombre très limité.

Et elle est parfaitement surmontable : les États membres peuvent prévoir dans leur droit interne un mécanisme de révision de la peine afin que cette dernière puisse être réduite à l’échelle des faits punissables dans le droit de l’État d’exécution.

2 –

Quant au compromis proposé par la Commission, nous pensons que le critère tiré du caractère « essentiel » des faits n’est pas approprié.

Car si « essentiel » équivaut à « prépondérant » ou « principal, » alors le critère n’est que relatif et peut conduire, en cas de peine prononcée importante, à l’exécution d’une peine substantielle pour des faits non punissables, ce qui serait précisément le cas ici. Et ce qui ne serait pas acceptable au regard des principes précités de légalité et de nécessité.

Le critère doit donc, à notre sens, être celui des faits « substantiels », c’est-à-dire des faits qui ont pu peser dans le choix de la peine prononcée. Ce qui correspond d’ailleurs au raisonnement tenu par la chambre de l’instruction d’Angers.

Nous vous invitons donc à retenir que lorsqu’une partie des faits visés par le mandat ne constitueraient pas une infraction dans l’État membre d’exécution, la remise ne peut être accordée que si ces faits ne sont pas substantiels, en ce sens qu’ils n’ont pu influer que de manière négligeable sur le choix de la peine.

C –

Pour finir, il faut comprendre que les décision prises dans cette affaire par les juges français relèvent du réflexe, tant l’exigence d’une double incrimination est inhérente à nos systèmes juridiques nationaux et en lien indissociable avec le principe de légalité. Le juge qui réagit de la sorte, ce n’est pas juge national, mais le juge pénaliste. Car le juge pénaliste a une conscience aigüe du poids des mesures prévues par le droit pénal et a une haute conscience qu’il ne peut ordonner de telles mesures que si la loi le prévoit. Ce n’est pas un réflexe nationaliste, mais un réflexe légaliste. Et la légalité est une condition de  l’État de droit. Gardons-nous d’une fuite en avant vers toujours plus d’efficacité du mandat d’arrêt européen. Ayons à l’esprit que l’État de droit est une condition essentielle à la construction d’un espace de sécurité, de liberté et de justice et que la préservation de cet État de droit suppose une lecture rigoureuse de la condition de double incrimination.

En conclusion

Nous vous invitons à répondre par la négative à la première question ; à dire n’y avoir lieu à répondre aux deux autres et dans le cas contraire, à y répondre par l’affirmative.

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