Ce n’est pas l’indulgence qui est réclamée, mais la justice.

Il fut un temps où l’on avait pu croire que la mondialisation capitaliste n’était pas une fatalité et que l’humain pouvait inventer un autre ordre que celui de l’accaparement, de la compétition, de l’intérêt égoïste. Il fut un temps où puisque la terre était devenue pas plus grande qu’une orange, on pouvait imaginer des solidarités, des fraternités même – pourquoi pas ? L’idée du commun avait cahin-caha parcouru les siècles, depuis le mouvement des enclosures au XVIe siècle, jusqu’à la Commune de Paris et après lorsque les démocraties de l’après-guerre promettaient un avenir pour tous, d’autant plus prometteur que les sciences et les techniques se mettraient au service du genre humain. Le modèle communiste avait montré sa face la plus sombre. Le capitalisme pouvait alors promettre le jardin des Hespérides à tous et cela à peu de frais. La colonisation paraissait d’un autre âge. Tandis que l’impérialisme battait son plein, fort de sa puissance militaire et de son arrogance de conquérant, la jeunesse occidentale avait fait front. Et plus tard, dans les années 90, elle fit front à ce capitalisme désormais triomphant qui avait conquis la terre entière, par les guerres et les mensonges, le seul modèle possible, disait-on, celui de la concurrence de chacun contre chacun, de l’exploitation éhontée du Tiers Monde et de ses richesses, de la mise au pas des individus, du mépris affiché pour les questions écologiques, désormais renvoyés à la lutte pour eux-mêmes laquelle devait inévitablement les opposer les uns aux autres, flatter les distinctions, hérisser les frontières, non plus entre les États mais entre les êtres, qui du même coup ne virent d’autre salut que dans l’affirmation de l’ego.

Les manifestations en Italie lors du Sommet de Gênes en 2001 furent probablement le dernier sursaut d’une jeunesse pacifiste mais résolue et qui se voulait du côté des pauvres, des immigrés, des relégués de la mondialisation. Ils étaient des centaines de milliers. À cette époque le monde des affaires était le pourvoyeur de dirigeants, Berlusconi était donc à son affaire ; Gênes serait le théâtre de la rencontre du G8. Question théâtre, Berlusconi était un maître. Il voulait une démonstration tip top. Mais ce jour-là ses bouffonneries prirent l’allure d’une offensive policière : zone rouge, rideau de fer, police anti-émeute armée jusqu’aux dents.  La suite, on l’a connaît. La violence policière ne s’était pas déchaînée ainsi depuis longtemps. Depuis Berlusconi a créé une « université de la liberté »

Mais qu’est ce qu’une liberté sans équité ni fraternité ?

Vincenzo Vecchi était présent au sommet de Gênes. C’était un militant anti capitaliste, alors forcément, il était-là, parmi des dizaines de milliers d’autres, ceux qui manifestèrent comme lui, et dont certains tombèrent sous les coups, furent torturés, humiliés, blessés par des « forces de l’ordre » déchaînées. « Identifié » par la police, Vincenzo avait été condamné à l’époque à 12 ans de prison. Sous le coup d’un mandat d’arrêt de la justice italienne, il se réfugie alors en Bretagne. Il devient charpentier, le métier des bâtisseurs. Mais repéré par la justice italienne qui exige son extradition, il est emprisonné à Rennes sous la menace d’un mandat d’arrêt européen. On connaît l’affaire : à Rochefort en terre, dans le Morbihan, il y a encore des femmes et des hommes qui pratiquent la solidarité, le partage, le commun : ils ont alerté la presse, mobilisé des avocats, rallié des défenseurs en France et en Italie, interpellé les politiques, les sénateurs, organisé la défense de Vincenzo, pas à pas, mois après mois, obtenu sa mise en liberté par le parquet de Rennes, après son incarcération en été 2019. Puis le refus d’extradition est annulé par le parquet général de Rennes. On ne lâche pas prise. La lutte juridique se poursuit. « équité et modération, disait Montesquieu ». On y croit à Rochefort en Terre . Puis, c’est au tour de la Cour d’appel d’Angers de refuser l’extradition de Vincenzo. Mais la Cour de cassation renvoie l’affaire à la Cour européenne de Justice.

On en est-là. La Cour de Justice de l’UE va à présent livrer son verdict.

La mobilisation ne se relâche pas.

Ce n’est pas l’indulgence qui est réclamée, mais la justice.

A l’heure où l’union européenne se veut plus que jamais le défenseur de l’opprimé contre l’oppresseur, il serait honteux pour chacun de nous que la justice prenne la forme de la rancune où de la vengeance contre un homme qui n’a rien fait d’autre que défendre un monde plus humain.

Myriam Monla (signataire de la tribune du Monde)